Un p’tit truc en moins**
8 août 2024
Voilà, le cap des 10 ans a été franchi, tranquillement, en roue libre. Dix ans que ma vie quotidienne s’articule autour d’un transfert entre un lit médicalisé (sauf exception) et un fauteuil roulant. Et vous savez quoi ? Je m’en suis relativement accommodé.
Chaque matin durant la période scolaire, j’entends Agathe à travers la porte de ma chambre qui me glisse un timide « bonne journée Papa ! ». Généralement, il est 8h20 et je suis entre les mains d’un ou d’une aide soignant(e) pour le rituel toilette/habillage, ce qui explique que la porte reste close. Je n’ai jamais pu accompagner ma fille à l’école. Il m’est arrivé en revanche d’aller la chercher à la sortie. Il faut que j’en profite encore un peu avant le collège… Elle aussi aura bientôt 10 ans. Même en fauteuil roulant, ça passe vite. La regarder grandir est proprement fascinant, vu de mon trône inamovible.
« Bonne journée Papa ! » donc. Je m’efforce de suivre ce leitmotiv et mes journées sont plutôt bonnes dans l’ensemble.
Bonnes, puisque la mécanique, certes très limitée, affiche un bon état général. Suite à ma dernière publication, je me suis fait injecter, début janvier, un peu de graisse dans la fesse droite. Les 15 jours strictement allongés qui ont suivi n’ont pas été trop pénibles. Et depuis, c’est une sorte de bonheur retrouvé puisque j’ai arbitrairement décidé qu’il était temps de m’affranchir progressivement de la contrainte des deux heures d’horizontalité quotidiennes. Je ne sais pas si c’est vraiment raisonnable, vu que je ne dispose d’aucun accord médical, mais ça change beaucoup de choses. Une contrainte en moins, c’est déjà énorme. Bien sûr, je (on) surveille ça de près, je m’astreins chaque jour à quelques « push up » prolongés et je n’exclus pas de recourir à une deuxième injection adipeuse en janvier prochain.
Côté spasticité, rien de nouveau, mais rien d’insupportable. J’ai tenté les injections de botox ciblées dans les mollets pour limiter les trépidations des membres inférieurs. Une expérience qui devait produire ses effets au bout de 15 jours et qui s’est soldée par un échec total. Ça, c’est fait. Le reste (transit, infections urinaires, chevilles gonflées, fausses routes, tendinites, coups de fatigue, douleurs cervicales, nausées, surchauffe…) est sous contrôle. Et, vous l’aurez peut-être noté, j’ai rompu avec cet état pré dépressif dans lequel j’étais englué depuis quelque temps. J’essaye de retrouver mon statut de premier de cordée, mais uniquement à la force des bras.
Car si les journées sont bonnes, c’est aussi parce que j’ai la chance d’avoir un travail passion, que j’ai pu continuer à exercer dans de bonnes conditions et que j’ai bien l’intention d’exercer encore pas mal d’années. Contrairement à beaucoup de mes amis bien pensants, je ne prône pas le retour de la retraite à 60 ans. Au contraire, afin de financer la mienne et celle des autres, je me porte même volontaire pour reculer l’âge de ma retraite à 70 ans. Et peut-être que continuer à vendre du sport pour tous quand vous ne pouvez plus pratiquer vous-même n’est plus une simple activité professionnelle, mais une catharsis.
De plus, afin d’éviter de devenir en plus un vieux con, j’éprouve un réel plaisir à collaborer tous les jours avec cette fameuse génération Z, des salariés plus jeunes que mes trois grands enfants. Entre le boomer assumé à roulettes qui partage ses émotions de pré retraité sur Facebook et ces néo adultes biberonnés au numérique qui optimisent leur bagage culturel sur TikTok, il y a suffisamment de « bande passante » (ça, c’est plutôt un terme employé par les millenials), pour que ca fonctionne harmonieusement.
Et, fort d’un fessier renforcé, je m’aventure de plus en plus loin hors du bureau, sur le terrain, pour plusieurs jours. Ça aussi, ça permet de sortir de la routine, même si clairement, je sors également de ma zone de confort.
Car le confort est toujours ce qui contribue à ce que chaque jour soit une bonne journée. Des transports adaptés, des restaurants et autres lieux accessibles (sans portage – au secours !), du matos qui fonctionne, des aidants ponctuels, des professionnel(le)s investi(e) et compétent(e)s, un cadre de vie et de travail optimisé… Tout ce qui contribue, depuis 10 ans, à me rendre cette vie complexe moins compliquée.
Même en ce qui concerne mes soins de confort, justement, ça s’arrange. On a vu durant ces dix ans qu’il était difficile de rester fidèle à un Kinésithérapeute compétent sur le long terme. Après quelques errements, j’avais fini par trouver – ô miracle – une professionnelle dont le cabinet se situait à 30 m de celle de mon domicile. Hélas, cet idylle ne durera que quelques mois avant que ladite professionnelle ne déménage au centre-ville et ne soit pas remplacée. Je pris alors congé. Hors de question que je perde un après-midi en déplacement pour 45 minutes de soins loin d’être indispensables.
Et là, second miracle, je dégote un kiné sympa à 100 mètres de mon lieu de travail. Son cabinet étant totalement inaccessible en fauteuil roulant (et oui, ça existe encore), celui-ci accepte de se déplacer dans nos bureaux, une fois par semaine, à heure fixe. Une salle est toujours équipée, on s’en souvient, du lit que j’utilisais pour mes pauses quotidiennes. Elle est pas belle la vie ?
Et puis, il y a le contexte flamme paralympique, que je devrais donc porter dans quelques jours place Bellecour (Voir billet précédent). Je dois vous avouer que je ne suis pas forcément friand de ce genre d’exercice dans lequel je me sens plutôt mal à l’aise, pas vraiment à ma place. Les innombrables images que j’ai pu voir du parcours de la flamme ces dernières semaines ne m’ont pas toujours rassuré et contrairement à beaucoup de porteurs, je n’ai personnellement rien demandé. J’ai évidemment accepté de le faire pour au moins quatre raisons :
Faire plaisir et honneur aux interlocuteurs de la Ville de Lyon qui me l’ont proposé. Des gens que j’apprécie et avec lesquels je collabore efficacement.
Braquer les projecteurs sur mon entreprise, et j’étais loin de me douter des retombées presse que cela allait engendrer. La séquence médiatique est assez déconcertante.
Rendre hommage à tous mes semblables cabossés qui n’ont pas accès au sport ainsi qu’aux champions paralympiques méconnus. Même avec une médaille d’or, l’handicapé reste souvent invisible.
Et enfin, une dernière raison : imaginer la tête de certains, devant cette exposition médiatique.
Je n’aurai qu’un seul regret dans cette parenthèse olympique, – qui est une réussite incroyable, n’en déplaise aux râleurs rances très à droite ou très à gauche – c’est de ne pas avoir obtenu de dossard pour le marathon olympique pour tous, auquel j’espérais participer en handbike. Malgré une demande très argumentée auprès de Paris 2024 au début de l’année (ils me répondront au bout de quelques temps ne plus disposer de dossards, me demandant de m’adresser au partenaire principal, un opérateur téléphonique au nom de fruit) et l’intervention de plusieurs personnes (Je leur exprime ici toute ma gratitude) auprès des responsables marketing du dit opérateur, j’obtiendrai une fin de non recevoir et je devrai me contenter de regarder le parcours du marathon sur France Télévisions.
J’avoue ne pas avoir saisi exactement quels étaient les critères d’attribution de ces 20 000 dossards grand public. Quand je découvre sur les réseaux sociaux les innombrables personnalités qui vont y participer, je doute qu’il s’agisse uniquement de critères de performance. Je dois tout simplement ne pas être suffisamment méritant. Je me rattraperai lors des prochains JO en France. Je ne suis plus à une frustration près.
#onsétaitditroulerez-vousdans10ans
Alors oui, les roues ont tourné depuis le 1er avril 2014.
C’était un lundi, il faisait beau. Vers 10 heures, je postais mon tout dernier tweet (une vacherie contre Mélenchon, déjà). La veille au soir, nous avions fêté sobrement la réélection de Gérard Collomb. J’ai beaucoup pensé à lui après son décès en novembre dernier. Sans avoir eu beaucoup de contacts amicaux avec lui, j’avais apprécié sa visite au centre de rééducation, plusieurs mois après mon accident. J’ai longuement hésité à me rendre à ses obsèques à la cathédrale Saint-Jean. Mais ce n’est pas un lieu très handi friendly et, pour tout dire, je n’avais pas très envie de croiser la cohorte habituelle des ex courtisans éplorés, les yeux rougis devant le cercueil fleuri, alors qu’ils avaient pour certains tourné le dos à l’ambulance en 2020.
Ce lundi 1er avril, avec PH, nous étions partis rouler dans les Monts d’Or entre midi et deux. Durant cette courte sortie de vélo, nous avions rencontré lors de la première traversée du tunnel mode doux de la Croix Rousse, dans le sens Rhône-Saône, un triathlète ingénieur INSA qui découvrait la région et souhaitait se joindre à nous. Je me souviens que nous nous étions bien tiré la bourre dans la montée de Couzon jusqu’à la route des crêtes (les connaisseurs apprécieront). Au retour, sous ce même tunnel, il était aux premières loges puisqu’il roulait derrière moi au moment de l’impact et il a dû rester certainement un moment à mes côtés. Ça, je ne m’en souviens pas. D’où ma surprise lorsque Arnauld Marguier (c’est son nom) m’a laissé un message sur Linkedin en janvier dernier, dix ans plus tard.
Il m’a avoué m’avoir toujours suivi de loin sur ce blog. Lui aussi a été marqué par cette journée particulière. C’est lui qui a appelé les pompiers. Son message m’a fait plaisir. Je me suis excusé, avec un certain retard, d’avoir sans doute gâché sa fin de sortie.
Le même jour, le 1er avril 2014, le divorce entre Vladimir Poutine et Lioudmila Poutina était rendu officiel. Lui aussi ne s’en est visiblement pas complètement remis.
Déjà, en 2014, la RN avait gagné les élections européennes. Le PS avait fini 3eme avec déjà moins de 15% des voix et pourtant, F. Hollande n’avait pas dissous l’assemblée nationale pour autant. Il faut dire qu’il disposait d’une confortable majorité absolue.
En ce qui me concerne, les dix ans qui ont suivi n’ont pas été un long fleuve tranquille et sont largement développés dans la soixantaine de billets précédents.
Que faut-il en retenir en quelques mots ? Des moments d’une infinie détresse et une incroyable difficulté à se reconstruire, des proches plus proches que jamais, un élan de solidarité au départ qui s’est vite dissipé dans certains cas, des silences assourdissants, des amitiés renforcées ou à l’inverse brisées sur l’autel des ambitions médiocres, mes grands enfants qui sont devenus des adultes admirables, mes parents qui s’accrochent, comme pour me dire « Accroche toi ! », la vie auprès de Chloé et de notre fille Agathe…
En 2018, lors d’un séjour à Uzès, j’avais, lors d’une longue visite en fauteuil de la bambouseraie d’Anduze, fait l’acquisition d’un petit Ginkgo Biloba, cet arbre fascinant. Il a d’abord grandi en pot durant 5 ans dans notre jardin à Lyon. Parvenu à une taille respectable et à l’étroit dans son récipient, j’ai demandé à ce qu’on le plante cet hiver en pleine terre dans notre jardin en Bourgogne. Je vais le regarder s’épanouir à chacun de mes séjours. Dans 10 ans, il devrait mesurer plus de 6 mètres. La croissance du Ginkgo est réputée lente. C’est après une dizaine d’années paraît-il, que la croissance s’accélère. Il se met alors à pousser bien plus vite et à tutoyer les sommets. Au bout d’une centaine d’années, il se met en mode économie et sa croissance plafonne. Il peut vivre ainsi jusqu’à 1000 ans, tranquille.
C’est entendu. Dès que je serai trop à l’étroit dans mon fauteuil, je me ferai planter ici…
** 12 ans après Intouchables (presque 20 millions d’entrées), le film d’Artus a passé les 8 millions d’entrées. Comme quoi on devrait faire plus de films sur le handicap. C’est un thème bankable.
Putain 10 ans…..
Ta meuf toujours aussi sympa
Câlin pas, toujours ou presque pas câlin.
Tes trois grands, aussi beaux qu’intelligent.
Ton dévoué ami A . Fargas qui espère être là, tout prés du Ginkgo pour fêter notre prochaine décennie.
Tu n’a presque plus aucune raison de ronchonner (sinon après JLM).
Particulièrement fier et heureux d’être ton ami.
B.T
Merci Michel pour tes billets toujours poignants et qui permettent de comprendre un tout petit peu ton quotidien. Toujours aussi bien écrit et argumenté lorsque nécessaire. Bien amicalement
Michel, on ne s’est vu et côtoyé sur un vélo que quelques instants, il y a maintenant longtemps, mais j’en garde un souvenir intact. J’ai moi même pris ma retraite à 70 ans cette année, un conseil n’arrête pas. A te lire une prochaine fois.
Merci. Moi aussi je m’en souviens parfaitement. Avec tes démarrages en « facteur ».
10 ans, un sacrée tranche de vie avec de gros pépins dedans, mais malgré toutes les galères toujours la flamme de vie, illustrée et mise en lumière par la flamme olympique que tu porteras à Lyon.