Ouvrir les vannes
15 janvier 2018
Deux interlocuteurs différents, avec lesquels je débattais récemment du racisme ordinaire, me faisaient le même parallèle douteux : “ Tu imagines, si on faisait les mêmes plaisanteries sur les handicapés ? “. Oui et alors ? Au contraire.
Trois ans après la tuerie de Charlie Hebdo, je revendique pour mes concitoyens le droit de rire de tout, y compris des handicapés. Je préfère même les bonnes vannes aux regards contrits dont on nous gratifie en permanence. Nous regarder de cette manière est déjà une offense. Lâchez-vous un peu, il y a matière à rire. Car c’est un fait indéniable, dans cet environnement fortement normé, l’handicapé est facilement grotesque.
Prenez les paraplégiques, des cas plutôt épargnés. Ces derniers affichent généralement un tronc et des bras sur-développés sur des jambes d’enfants de cinq ans. Chez les tétras, ça se complique. Ces ectoplasmes à roulettes, plus ou moins électrisés, peuvent pousser assez loin le concept du difforme. Ceux qui s’obstinent encore à tenter de marcher ou de parler, avec plus ou moins de réussite, ne sont pas en reste. C’est ainsi, et les regards des enfants ne trompent pas. L’handicapé est ridicule et donc forcément drôle. Et des vannes, j’en ai plein en stock. Tenez là, je devine votre sourire en train d’imaginer, par exemple, le contenu du Kâmatétra, vitrine de la libido flamboyante de l’handicapé, ou quand je dis que le fauteuil est la seule partie du légume qui ne passe pas au mixeur.
Bref, on se détend. Et à l’attention des porte-paroles indignés des minorités, je préfère, à choisir, être victime de propos discriminants que d’infirmités irréversibles. Ça offre plus de perspectives et d’espoirs. Parmi toutes ces minorités visibles, il faut reconnaître que l’handicapé a quand même tiré le gros lot.
Non, je ne m’énerve pas ! Mais trois mois sans soleil, c’est long. Je déteste cette période. Reclus à l’intérieur, je cultive l’immobilisme, capable, le week-end, de passer toute une journée “assis” à la même place. Je n’en bougerai qu’à trois reprises, aux horaires programmés de sondages urinaires et d’hygiène bucco-dentaire. Tout en demeurant immobile, je peux cependant multiplier les activités : converser avec mon entourage ; passer des coups de fil ; réaliser des puzzles avec ma fille Agathe, un excellent exercice d’ergothérapie ; lire, en tant que juré, les ouvrages sélectionnés pour le prix Quais du Polar 2018 ; m’alimenter raisonnablement à trois reprises ; faire le geek en permanence sur ma tablette, qui me permet de travailler, d’écrire, de faire des mails, de passer du temps sur les réseaux sociaux, de parcourir la presse, de visionner illégalement des longs métrages, d’écouter de la musique au casque… J’attends ainsi tranquillement le meilleur moment de ma journée, qui reste celui où je retrouve mon lit et ma vie imaginaire.
Mais le propre d’un meuble est de prendre la poussière. Et à force d’être par essence exclu des activités collectives, on en finit parfois par m’oublier…Mon angoisse est par exemple d’être un jour le dernier à quitter le bureau, bien incapable de fermer à clé et de mettre l’alarme. Toujours dans un cadre professionnel, j’ai vécu l’autre jour une scène assez cocasse. Après le yoga collectif en fin de journée, notre agence propose désormais au personnel des séances de Pilate entre midi et deux. Une fois souligné les vertus d’une telle initiative, il faut savoir que l’espace collectif est situé juste devant mon bureau vitré. L’autre jour, sans y prendre garde, je me suis retrouvé piégé par le cours, très suivi, qui avait démarré à 12h30 précises. Pendant une heure, j’ai eu droit au dos du prof devant ma porte, déclamant ses instructions sur fond musical lounge ethnique. Impossible de sortir de mon bureau sans perturber cette belle harmonie ni déranger quelques corps gainés et allongés sur mon itinéraire habituel. J’ai donc sagement reculé l’heure de mon déjeuner et de mon sondage, essayant de rester concentré sur mon travail malgré la relative absurdité de la situation, la vue panoramique plongeante sur moult séants moulés dans des leggins et cette consigne martelée comme un mantra, enjoignant à contracter périnées et fessiers, et à rentrer le ventre. Des choses qui me sont précisément impossibles. Vite, un prozac ! Bien fait pour moi. La prochaine fois, j’anticiperai. A l’inverse, je me demande bien de quoi j’avais l’air, cloîtré dans mon bureau bocal, tel un crapaud dans une bouteille d’eau de vie.
On subit beaucoup de choses lorsque l’on est handicapé : Traumatisme initial, limites physiques, contraintes diverses, horaires imposés, frustrations innombrables et bien d’autres encore. On ne se méfie jamais assez des cours de pilate en entreprise.
Je ne râle pas, j’existe ! Depuis trois ans, je ne suis peut-être jamais senti aussi vivant de l’intérieur. Et pourtant, autour de moi, sans prévenir, ils ont été nombreux ces derniers temps à se faire la malle avant l’heure. À ça aussi, je vais devoir m’habituer. Ce bon vieux Dostoïevski disait que la meilleure définition que l’on puisse donner de l’homme, était celle-ci : “ Un être qui s’habitue à tout”. Ou presque.
Bonsoir,
C’est drôle , une fois je me suis engueulée avec un homme en fauteuil parce que j’avais utilisé les toilettes handicapées dans une station service , je lui ai alors fait remarquer que « accessibles aux handicapés « n’etait pas synonyme de « réservées aux handicapés », et qu’il pouvait lui aussi attendre 3’ , comme toutes les nanas qui poireautent 30’ alors que les mecs ne font jamais la queue, et ça c’est injuste ! … en même temps, je commençais à avoir mauvaise conscience de réagir comme ça , et puis d’un coup, il m’a dit que j’avais raison et qu’en fait je l’avais juste traité comme une personne lambda, et non comme un handicapé … voilà , je n’ai jamais oublié … ma mère a elle même passé 10 ans en fauteuil , je pense qu’en fait , c’était juste ma mère , rien de plus ni de moins
Bon courage , j’adore ton blog
Anne
Hello Mim, merci pour ton billet, je suis pas sûre d’avoir l’humour aussi débridé ;-( mais je peux comprendre que cela te semble préférable aux regards « lourds ». La plupart d’entre nous sommes ignorants de ta réalité (et carrément flippés de l’imaginer), je te dis pas non plus l’impuissance que ça fait vivre à tous ceux qui t’aiment… Heureusement les enfants sont plus spontanés non ?
Il y a en ce moment en ligne un doc sur Fred Astaire qui devrait te réjouir et alimenter tes rêves !!!
Des grosses bises sur tes joues (qui piquent).
On se voit en 2018 ???? un ciné, une expo… ?
« …on en finit parfois par m’oublier… » tu n’exagères pas un peu là ??
La normalité ne surprend pas, ne dérange pas, ni n’attire la curiosité. Elle a le pouvoir de nous rassurer, tout le contraire du handicap, qui lui, bouscule les repères !
Mais tu as raison ; il faut savoir et oser rire de tout……juste se moquer sainement des situations, en ne blessant personne.
Prends bien soin de toi en attendant le retour des beaux jours.
Bises
Oui on peut rire de tout mais en restant respectueux de la personne par contre tout le monde n’a pas le même humour et parfois on se retrouve bête avec nos blagues, pas toujours simple de retomber sur nos pieds . J’aurai bien voulu être avec toi dans ce bureau déjà voir ta tête, rigoler et deviser sur ses fessiers ce sera pour une autre fois.
A bientôt pour de nouvelles aventures aussi croustillantes
Bises
Gis
..pas d’handicap pour toi de l’autodérision, de l’humour et de prise de recul par rapport à des situations difficiles, cocasses,…
Et on est sur la bonne voie pour sortir de l’hibernation et profiter un peu de quelques rayons de soleil pour donner de la patate au légume !!! ( promis je ne râlerai pas sur ma dernière sortie vélo sous la pluie 😉 )
J’espère que dans ton prochain billet tu nous narreras tes entrainements sur ton handbike ou à la salle de sport et réveil musculaire …
Est-ce que l’écriture de ces billets te font du bien ? En tout cas c’est sûr que leur lecture est toujours un plaisir, avec ta façon de relater de manière drôle, des choses qui ne le sont pas toujours…
bonjour Michel , pour quelqu’un qui n’est même pas « tétra » à 100% je te trouve gonflé de stigmatiser les gens qui ne veulent pas rire des handicapés . En fait tu profites de ton statut privilégié pour heurter leur sensibilité et les blesser , très gravement, dans leur conscience . J’imagine que ça ne doit pas être facile à vivre pour certains d »entre eux . Je trouve ta démarche particulièrement discriminante : on commence par ne pas ménager la sensibilité des gens qui ne veulent pas rire des handicapés , puis de ceux qui ne veulent pas rire des noirs, des juifs, des musulmans, des roms, du pape, du prophète.. puis vient le tour des des vieux , des femmes des enfants etc.. puis on devient totalement intolérant : on se met à critiquer les gens qui pensent que la terre est plate, qu’on est jamais allé sur la lune , que le 11 septembre 2001 et la Shoah n’ont jamais existé, que le darwinisme est un complot. Bref on finit par traiter différemment, discriminer, un pan entier de la population et on déstabilise la société toute entière. Attention à ne pas déraper Michel . Tout le monde n’a pas ta chance…
Le coach
Hello Michel,
Pour la prochaine séance de Pilates, préviens-moi, je viendrai partager un déjeuner avec toi dans ton bureau, comme ça, on pourra commenter et admirer ensemble les volontaires pour transpirer à l’heure du déjeuner : personnellement, je suis toujours fascinée tellement c’est au-delà de mon réel 🙂
Les beaux jours seront bientôt là… on va pouvoir se faire une terrasse, et ça, c’est une belle perspective !
Des bises
Lidwine
bonsoir l’ami Michel
Je ne sais jamais si ça me fait rire ton humour? si c’était quelqu’un d’autre que toi (quelqu’un que je ne connais pas) sans doute que je recevrais le récit sans filtre. En tout cas, tu nous fais vivre des moments, des instants si touchants, si absurdes, si dingues et c’est si bien écrit que l’on te voit, tu prends corps! Ton épisode Pilates est à tomber ! Il pourrait faire une scène de film fabuleuse. Tout est fabuleux dans ton récit, tout.
je t’embrasse et je ne t’oublie pas. Jamais.
Continue.
Très cher Michel,
Courage et patience, les beaux jours arrivent… bientôt !
Je reste votre abonné,
Bien à vous
Laurent
Et moi, je ne suis toujours pas habitué à tes chroniques. Sinon, je n’attendrais pas la suivante avec autant d’impatience!
Courage, merci et kiss Michel!
PAF