Faire le trottoir
2 décembre 2021
Quelle rentrée ! Tout s’est déroulé à peu près comme prévu, vu de mon trône mobile. Si ce ne sont tous les imprévus. Je vous épargnerai ici le volet professionnel, qui remplit pourtant l’essentiel de mon existence en ce moment. L’activité a cette fois bien repris, ainsi que les emmerdements. Avec un déménagement et des ressources humaines complexes à gérer, des contretemps professionnels fâcheux et un rythme de production post Covid infernal, ces trois derniers mois n’ont pas été franchement contemplatifs, mais plutôt Optibus (appellation de mon transporteur PMR), boulot, dodo ! C’est dingue, on dirait presque une vie de valide. Je n’ai plus le temps de lire, de faire des restos avec mes copines, de consommer des séries, d’aller à la salle de sport et même de rédiger des billets de blog. Il était temps que ça cesse.
De plus, ça n’a pas été franchement la grande forme. Après ma petite crise spastique de cet été (voir publi du 20 août dernier), voilà que tout ce que mon corps a d’inerte se remit progressivement en mouvement en octobre. J’attendis que cela devienne franchement gênant pour déranger les autorités médicales compétentes. On procédera successivement à une vidange de la fameuse pompe à Baclofène, puis à une hausse du débit de 10%, sans que cela ne change rien. Finalement, on décida d’anticiper le changement de cette pompe dont l’obsolescence était programmée pour début 2022. C’est pour la semaine prochaine, je vous raconterai. J’ai dû vivre plus d’un mois et demi avec des spasmes violents et permanents auxquels j’ai fini par m’adapter, en m’attachant notamment les jambes lorsque je suis en fauteuil. Cela m’a gâché pas mal la vie et mon seul week-end à la campagne, durant lequel je dus décliner l’occasion d’essayer mon handbike tout fraîchement revenu de l’usine avec un nouveau moteur. Et là, soudain, sans raison apparente, à quelques jours de mon opération, ces maudits spasmes ont disparu. Va comprendre!
Il n’y a pas que ma pompe anti spasmes que l’on entreprit de changer en cette fin d’année 2021. Un matin, en sortant de chez moi, je tombe sur un agent de la Métropole en tenue, visiblement occupé à effectuer des relevés sur voirie. Je le salue et l’interroge. « La collectivité n’aurait-elle pas en projet de réhabiliter ce trottoir totalement défoncé devant mon domicile ? » Bingo ! Je lui expose rapidement mon problème. A savoir quelques difficultés à descendre et à accéder à ce trottoir en fauteuil roulant sans risque de chute. J’en parle avec d’autant plus de naturel qu’il m’est arrivé de choir à plusieurs reprises. Je lui montre également le seul passage, que j’ai fait légèrement aménager, qui me permet de passer sans trop de problèmes. J’aimerais, lui dis-je, que celui-ci soit préservé ou qu’un passage spécifique puisse être aménagé. Il m’invite à faire ma demande par mail. J’apprends au passage que ce type d’aménagement porte le nom technique de « chartrière » et qu’il m’en coûtera au passage quelques deniers. Peu m’importe. Ivre d’espoir, je formule immédiatement ma demande digitale, avec moult détails. La réponse du zélé « Surveillant Travaux Voirie du Grand Lyon », me parviendra quelques jours plus tard. Il m’annonce que ma demande a été rejetée par sa direction, arguant que seules les sorties de garages automobiles peuvent bénéficier de l’aménagement de chartrière. On rêve ! J’en déduis que les personnes en fauteuil roulant n’ont qu’à se démerder comme les autres pour franchir les 15 centimètres d’un trottoir. Je sais, vous vous dites : pourquoi ne roule t-il pas jusqu’à l’angle de la rue où le trottoir est forcément rabaissé. Figurez-vous que j’y ai pensé. L’angle nord, certes distant, est franchissable. Hélas, il est rare qu’il n’y ait pas de voitures stationnées illégalement sur ce trottoir, surtout les jours de marché, empêchant tout passage en fauteuil. Il me reste donc l’angle sud, plus proche, mais qui lui est carrément casse-gueule. Après quelques tentatives ratées, j’avoue que je n’essaie plus seul.
Je reste pourtant optimiste, je plaiderai ma cause le jour des travaux avec les opérationnels, qui seront forcément compréhensifs. C’est ce que je fis chaque jour que durèrent ces travaux, en octobre, afin qu’ils préservent le passage aménagé et rendent l’angle sud beaucoup plus carrossable aux handicapés couards de mon genre. Une nouvelle fois hélas, à la fin des travaux, je dûs me rendre à l’évidence. Le résultat était, me concernant, encore pire qu’avant. Afin de respecter le cahier des charges Métropole, mon petit passage surbaissé avait disparu et l’angle sud présente une telle pente, que je mets un valide au défi de le passer en fauteuil.
Allons, me dis-je, tu es un homme de lettres et il te reste la voie diplomatique. J’entreprends donc de communiquer directement avec les décideurs, de leur décrire mes tourments et dénoncer ce dysfonctionnement manifeste dans une métropole et une ville qui se flattent de vouloir être toujours plus inclusives. J’écris donc à M. le 19eme Vice-Président à la Métropole de Lyon, en charge de la délégation « Santé, personnes âgées et personnes en situation de handicap ». Je personnalise à peu près le même courrier à Mme la 19eme adjointe à la ville de Lyon, délégation « Droits et égalités, mémoire, culte et spiritualité », qui comprend (et oui !) les actions en direction des personnes en situation de handicap. Enfin, je joue la proximité en écrivant à ma mairie d’arrondissement en la personne de la 11eme adjointe, en charge de la délégation « Santé, prévention, handicap et accessibilité ». M’adressant à des personnalités EEVL ou PS récemment élues, qui ont largement fait campagne sur les thèmes de la ville pour tous, de l’inclusion, et de l’égalité des droits, je suis relativement confiant. Je précise dans cette missive que je me tiens à leur entière disposition, pour un rendez-vous ou pour une visite directement sur site afin de juger des difficultés que je rencontre au quotidien. Je les informe également qu’en cas d’absence de réponse de leur part, ce qui me paraît alors hautement improbable, je ferai aménager moi-même, en toute illégalité, un petit passage en béton entre le trottoir et la chaussée.
Seul M. le vice Président à la Métropole de Lyon, en charge de la délégation Santé, personnes âgées et personnes en situation de handicap… daignera me répondre quinze jours plus tard. Celui-ci me remerciera fort aimablement pour mon courrier, qu’il a transmis aux services de la délégation compétente (?) afin qu’ils en prennent connaissance et leur laissant le soin de me répondre.Tout en m’invitant bien sûr à le garder informé de l’évolution de ce dossier, il me suggère de prendre attache avec les services de la voirie de mon arrondissement pour leur signaler les difficultés que je rencontre. (…) Assez dépité au final, je patientai encore plusieurs semaines, dans l’espoir vain d´un monde d’après, avant de lancer mon petit chantier illicite (merci J.). Cet aménagement modeste a changé mon quotidien. Il en faut peu finalement pour rendre la vie plus facile à une personne en situation de handicap.
Après, je veux bien croire que les handicapés, ou plutôt ceux qui les représentent soient parfois excessivement pénibles. Par un concours de circonstances assez improbable, je me retrouve également de l’autre côté du guichet. En tant qu’organisateurs de courses pédestres ou cyclistes, nous sommes fréquemment interpellés par des concurrents handisports. Accessibilité, classement spécifique, facilités, etc, nous sommes évidemment toujours à l’écoute des demandes mais fermes quand nous jugeons la chose trop dangereuse. Les choses se corsent quand on a affaire à des joëlettes. Ces grosses poussettes mono roue, tractées par six à huit coureurs permettent à des handicapés moteurs de participer à des marathons ou à des trails en pleine nature. C’est tendance. Personnellement, je ne ferai jamais ce genre de chose et je ne vois pas bien le plaisir que peut en retirer le non valide. Mais pourquoi pas.
Malheureusement, nos quelques expériences en matière d’accueil de joëlette sur nos épreuves nous conduisent toujours au même constat. Nous n’avons jamais affaire à la personne handicapée elle-même, ce qui serait plus simple et même sympa, mais toujours à des intermédiaires (proches, associations, accompagnants, soignants…), qui rivalisent d’exigences, d’impatience et d’indélicatesse. Porté par une mission solidaire d’intérêt général et d’insertion, on part forcément du postulat que tout leur est dû et que leur dossier est hautement prioritaire. C’est simple, quand on entend le mot joëlette au bureau, tout le monde se planque. Et si vous avez le malheur de ne pas répondre assez vite à leur demande, gare à vous ! Dernièrement, nous avions reçu une demande d’équipage joëlette de 30 coureurs pour que Roxanne, que j’aurais bien aimé rencontrer, participe à la course de 78 km de la SaintéLyon, une épreuve nature, qui se déroule de nuit, en hiver, sur des sentiers escarpés. Forcément, des questions se posaient aux organisateurs. Comment ne pas gêner les 15 000 autres concurrents ? Quelle responsabilité en cas d’accident ou d’hypothermie due au mauvais temps, comment et où effectuer les passages de relais ? Comment assurer les 30 accompagnateurs ?… Bref, autant de questions auxquelles nous avons sans doute tardé à répondre. Résultats : l’association a carrément interpellé une fameuse émission de RMC, dont la journaliste nous téléphona, tout émoustillée de prendre un organisateur validiste et sans cœur la main dans le sac. Dommage pour elle, j’avais quelques arguments en retour. Contraints de déminer cette situation absurde, nous avons finalement donné notre accord à l’association à la condition qu’ils ne prennent pas le départ en cas de mauvais temps. Condition qu’ils n’ont bien sûr pas respectée puisqu’ils ont démarré sous la neige et sous des températures négatives. Vent, froid, pluie, verglas, chutes, boue, ils mettront finalement plus de 14 heures pour rallier l’arrivée, à la limite des barrières horaires. A la télé, Roxanne avait l’air gelée (je me demande comment elle a pu faire pipi), mais heureuse. Tant mieux, vous imaginez si en plus elle avait détesté ça.
Pour finir sur une note positive (enfin presque), ma fille aînée vient d’acheter un appartement à Lyon avec son petit ami. Il se trouve que je connais bien le petit ami mais pas l’appartement. Je me faisais donc une joie de le découvrir dernièrement à l’occasion d’une soirée crémaillère réunissant une partie de la famille. Hélas, des mesures de dernière minute confirmèrent que mon fauteuil ne rentre pas dans l’ascenseur. C’est proprement intolérable. Je vais faire un courrier.
J’admire comme toujours tes écrits et ton humour car je ne sais pas si j’en aurais encore après tous ces déboires. J’ai suivi le reportage de Chloé sur la SaintéLyon bravo pour toute cette organisation et la réussite de cette course.
J’aurais aimé entendre ta conversation avec la journaliste, sûrement »jouissif » cet épisode. Continue de nous régaler. Romane et son copain auraient pu mesurer l’ascenseur
Gros bisous à tous
Rien à dire, j’ai la même administration/politique dans le Gard, bien qu’ils ne sont pas du même bord politique, mais du même bord administratif !
Tu as raison, après 2 ans de courriers, de rendez-vous, de courrier encore, de soutient municipal, le département du Gard étouffe nos demandes de limitation de vitesse devant chez nous, je vais donc faire comme toi, poser mes panneaux de limitation de vitesse devant chez moi avant d’avoir un gros accident.
Bises
On aura une joëlette à l’Ultra Boucle mais on doit avoir plus de chance qu’Extra Sports, on est directement en contact avec l’intéressé.
Le moins que je puisse dire, c’est que cela éclaire d’un jour nouveau ce que l’on pouvait penser des participations des joëlettes à des courses !
Ça rappelle P. Timsit qui avait dit un truc du genre « Je n’ai pas de problème avec les handicapés, j’ai des problèmes avec les gens qui s’occupent des handicapés ».
Mais bref, merci pour ce billet énergique et énergisant.
Alain
Et bien ! Que d’aventures encore !!
Je devine aussi que la bienveillance à ses limites, tandis que nombre d’abus existent de toutes parts
Toujours aussi bien écrit.
Ton stress professionnel m’a fait sourire et m’a rappelé comme « c’est trop bien » d’en être débarrassé. Eh oui j’ai rejoint le concept d’étre payé à rien faire …..enfin si velo, lecture,repos,vélo,lecture,repos…..que du bonheur.
Bises
Alors comme ça Michel on s’en tape complétement du bien-être animal ! Avec un courage et une abnégation admirable, la Métropole prend tous les risques et met en place une task force pour essayer, une fois pour toutes, de mettre fin au scandale du gavage des oies et canards et toi tu leur reproches de ne pas s’occuper d’une peccadille, une sombre histoire de trottoir, uniquement destinée à améliorer ton confort. Je te l’ai déjà dit, tu es beaucoup trop dans la recherche de confort et ça te joue des tours. Essaie d’être un peu altruiste, de faire le Bien, de penser un peu aux autres et pas seulement toi. Tu pourrais par exemple ne pas entraver l’action de coureurs à pied, vraiment altruistes, eux, qui n’hésitent pas à se sacrifier une nuit entière dans le froid afin d’apporter un peu de bonheur à une personne en souffrance. Des gens de Bien quoi !
On n’est jamais mieux servi que par soi même !
Un confort quotidien vaut bien un petit chantier clandestin.
Dans le centre ville de mon village, aucun soucis pour franchir les trottoirs, ils se confondent avec la route, tout est de niveau. C’est une zone partagée où le piéton est prioritaire ( enfin ça, c’est en théorie !) C’est plutôt sympa sauf quand un automobiliste étourdi manque presque de t’écraser en faisant son créneau parce que justement la bordure du trottoir n’existant plus, rien ne l’arrête !
Et sinon, pas de bras costauds pour t’acheminer jusqu’au nouvel appart de ta fille ?!
Bises
Toujours aussi poignant….
J’attends avec impatience la confrontation de Mimisoso avec le probable/ possible/potentiel/éventuel/indispensable téléphérique…
Qu est ce qui est le plus absurde ??? 15000 concourrants ou une joelette sur un trail ?
Ça, c’est mon job. 15 000 « concourrants » (vous l’avez fait exprès ?) permettent de rentabiliser cette grosse machine qu’est la Saintélyon et de permettre aussi à des joëlettes d’y participer. Mais vous avez raison, je pourrais aussi rester tranquillement chez moi, à profiter de mon AAH en matant des séries.
Fin d’année sur les chapeaux de roues, j’espère que ce début d’année te laisses un peu de temps pour souffler ! Que ce soit sur le terrain ou en partant à l’assaut du mille-feuilles municipal, incroyable tu n’es pas pu avoir un aménagement pratique !
je réagis tardivement mais comme on dit mieux vaut tard que jamais!
les bras m’en tombent quand je lis tes échanges avec comme le dit si bien Philikou « le mille feuille municipal « . C’est complètement surréaliste et indécent.
En tout cas merci de nous faire partager ton quotidien . Quand on est valide sur deux pieds on n’a pas toujours conscience de ce genre de détail matériel qui conditionne le bien être minimum d’une personne en fauteuil. big bises
je réagis tardivement. Mieux vaut tard que jamais!
Merci de nous faire partager ton quotidien qui en dit long sur la non efficacité de nos politiques! c’est indécent et surréaliste.
On ne se rend pas toujours compte quand on est valide sur deux pieds à quel point un petit détail peut rendre la vie plus confortable pour les personnes en fauteuils. Bref il y a du boulot en la matière!! big bises