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Escarre wild *

25 septembre 2019


Quand ça veut pas, ça veut pas ! J’aurai finalement passé près de quatre mois presque exclusivement allongé, dans l’attente hypothétique d’une cicatrisation qui ne viendra jamais.

J’y ai pourtant cru, redoublant d’efforts et de discipline stoïque pour permettre à la nature de faire son œuvre et de combler cette béance cutanée insignifiante. Boisson hyperprotéinée écoeurante trois fois par jour, séances (rares) d’électrostimulation et de luminothérapie, cuisse droite verticalisée à grand renfort de mousse pour supprimer totalement l’appui, levers rares et limités à quelques heures en fauteuil… J’y ai cru et j’avais tort. On m’affirmera plus tard qu’un escarre multirécidiviste de ce type, placé où il était mal placé, sans doute infecté, n’a que 10% de chance de guérison en supprimant uniquement l’appui… Damned ! Aurais-je bêtement pourri un été entier, le quotidien et la vie de mes proches, aurais-je inutilement annulé mes vacances à la campagne ? Aurais-je été absent et moins efficace quand ma situation professionnelle exigeait précisément le contraire ? Aurais-je perdu stupidement un temps précieux, raté un concert de Lenny Kravitz, un saut en parapente, quinze séances de kiné et autant de sport en salle… ? Tout ça pour une bataille perdue d’avance ? Pour rien ? Aurais-je tout simplement été mal conseillé depuis mon dernier escarre notable à l’automne 2018, lorsque j’osais déjà évoquer le recours à la chirurgie ? J’avoue parfois me poser quelques questions fondamentales…

Revenons-en au processus qui m’a progressivement conduit au bloc opératoire. Après quelques excès professionnels ou culturels début juillet ayant entraîné de nouveaux saignements et même un petit début de nécrose, ma plaie ne prenait pas forcément l’aspect de la régénération accélérée. Je dus me rendre rapidement à l’évidence. J’allais devoir sacrifier mes vacances afin de mettre un derme et un terme à cette problématique d’assise. Autour de moi, personne ne semblait réaliser l’état d’urgence dans lequel je tentais de me débattre. Tous profitaient de ces congés bien mérités, et on verrait bien à la rentrée. C’était tout vu ! J’avais rendez-vous avec Lucie, spécialiste thésarde ès escarre, le 22 août et si aucune amélioration significative n’était constatée ce jour-là, j’activerais immédiatement le bouton chirurgie.
Dire que les vingt premiers jours d’août furent longuets est sans doute assez loin de la vérité. Le Tour de France terminé, l’actualité politique en sommeil, la plupart des gens fréquentables en vacances…, même une trêve estivale me fut imposée sur le front professionnel. Mon humeur joviale ne dut son salut qu’à la présence de ma famille et d’amis proches qui se relayaient à mon norme chevet. Comme une galère n’arrive jamais seule, ce qui est une constante me concernant, l’écran de mon IPad Pro neuf décida un bon matin, chose rarissime d’après les spécialistes, de griller totalement. Hormis la fenêtre sur mon jardin, qui change de programme selon l’heure du jour, la météo, l’humeur d’Agathe et les conversations captées, je venais de perdre ma fenêtre sur le monde, car les réseaux sociaux ne prennent jamais de congés. Fort heureusement, grâce à un nouvel associé dont la diligence le dispute à la probité, deux vertus éminemment appréciables par les temps qui courent, je fus rapidement secouru question matos et réseau et je pus continuer à troller frénétiquement tout l’été, accompagnant les uns dans leurs vacances paradisiaques, les autres dans leurs voyages initiatiques lointains, leurs exploits divers avariés ou leurs délires politiques et apocalyptiques.
Pas simple de prendre en plein écran le bonheur des autres quand vous peinez à joindre les deux genoux. Je ne fus cependant pas le seul à vivre un été maussade. Mon ami Vance, tétraplégique de renom, est terrassé depuis de longs mois par des douleurs difficilement supportables. Lui qui exhibe en général un bonheur contagieux a passé l’été reclus dans sa belle villa, sans sa famille, à broyer du noir en compagnie d’une auxiliaire de vie et d’une armée de soignants. Comble de l’impuissance, je n’ai même pas été en mesure de lui rendre visite.
Il y a aussi Pierre, le bien nommé, sur lequel repose l’édifice familial de Chloé, ma compagne. Il a appris quand à lui au début de l’été qu’il était sélectionné pour une troisième saison de « Le bonheur est dans la Chimio ». Comble de l’impuissance, c’est lui qui s’est gentiment déplacé pour me voir à Lyon. On se sent un peu moins seul.

Puis tout s’accélèra : les retours de congés, les mails, les urgences, le rythme des visites, la rentrée littéraire, les préparatifs du G7…Chaque matin, les trois infirmier(e)s qui se relayaient depuis quatre mois pour refaire méthodiquement mon pansement, ne semblaient pas franchement plus optimistes que moi. Le 22 août, je me rendis sans illusion en consultation auprès de Lucie afin de lui présenter piteusement mon séant. Le processus de cicatrisation naturelle ayant visiblement pris des vacances lui aussi, la décision fut sans appel. Je répartis avec deux noms de chirurgiens en poche et la rage en moi. Après tant d’immobilité, il fallait que ça bouge sévère. Je ne lâchai rien et en quelques jours, tout était bouclé : rendez-vous, scanner, date de l’intervention, planning… Un petit exploit personnel !
Avant le jour J, veillant juste à ce que la situation n’empire pas trop, j’abusai avec délectation de la position assise pour de longues plages de travail au bureau ou de lecture au soleil. C’est bon de retrouver une vie normale, ou presque. C’est à cette période que j’aurais dû logiquement écrire ce billet de blog. Mais je n’en eu ni le temps ni l’envie, follement excité par la période qui s’annonçait.

Le 11 septembre, conscient de toute la symbolique de la date, je présente mes deux fesses jumelles au créateur, afin qu’il efface définitivement l’outrage fait à l’une d’elle par un terrorisme cutané sans pitié. Je suis entre de bonnes mains. Deux femmes chefs de service et de caractère. L’une chirurgienne réparatrice de talent et l’autre, infectiologue renommée. Tiens, au fait, pourquoi une infectiologue ?
Lorsque je retrouve mes esprits, j’apprends par la première qu’elle a procédé à des prélèvements suspects sur l’os qu’elle vient de raboter et par la seconde, un peu plus tard que, contrairement à ce que n’a pas montré le scanner réalisé au préalable, j’étais bien sujet à un début d’ostéite. Oh, rien que du classique : deux variétés de staphylocoques dorés et un bon Escherichia coli. Me voilà donc sous traitement antibiotiques pour six semaines minimum, à raison de huit doses quotidiennes, en perfusion ou en comprimés, pour anéantir les trois bébêtes en question. Au moins, je ne risque pas de subir une infection urinaire durant la période.
Après une période post-opératoire et nauséeuse de six jours dans le très bel hôpital lyonnais Saint-Joseph/Saint- Luc, où je vivrai quelques rares plaisirs enfouis de ma longue période hospitalière initiatique de 2014/2015, je suis parti m’installer au vert.
Je devrais en effet passer les six prochaines semaines en convalescence à Marcy L’Étoile, au pied des monts du Lyonnais. Trois semaines de cicatrisation, jambe en l’air et lit strict, avant d’enchaîner avec deux à trois semaines de consolidation et de mise au fauteuil progressive.
Je dispose d’une belle chambre calme et d’une jolie vue, la cuisine est étonnamment bonne, le personnel est compétent, efficace et sympathique, et Lucie, travaillant au sein de cet établissement, veille sur ma cicatrice et mes échantillons sanguins, telle Greta Thunberg sur la planète agonisante.
Si tout va bien, je devrais être aux affaires début novembre et ne plus jamais avoir à vous parler d’escarre. Ceci dit, lorsque je fais le bilan depuis cinq ans, peu de choses se sont finalement passées comme prévu.

*Ou l’importance d’être constant.
Une fois n’est pas coutume, le titre est de mon fils Marin. Merci.


Par Michel Sorine

Michel Sorine

Ex sportif du dimanche et directeur d’Extra-Sports la semaine, il est également tétraplégique depuis 2014. Ce blog raconte l’histoire de sa nouvelle vie.

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Il y a 12 commentaires

  • Arthurbaldur le 25.09.2019 à 15h43

    Pas mal le titre, le fils à de qui tenir. Tu as de la chance dans ton (enfin tes) malheur d’avoir un nouvel associé qui tient (bien) la route. On croise les doigts pour le reste.

  • Philippe DUBOIS le 25.09.2019 à 16h13

    Michel,

    Je parle souvent de toi avec Jean-Paul, avec qui je prévois de te rendre visite (si ça ne te gêne pas). A bientôt !

    Je pense à toi.

  • Jacqueline le 25.09.2019 à 17h11

    Et bien mon cher Mim avec toi les bobos aux fesses durent longtemps. Je suis heureuse de savoir que petit à petit tout va rentrer dans l’ordre. Clo et Denise m’ont donné de tes nouvelles. J’ai hâte de te revoir à Santenay. Alors accroche toi et bientôt tu vas retrouver ta forme. Je t’envoie d’énormes bisous et te dis à bientôt.

  • Charly le 25.09.2019 à 20h50

    Courage Mec
    À très bientôt
    Bisous

  • Philkikou le 25.09.2019 à 21h39

    Echange Eté d’enfer contre Vent d’ange…

    Que l’automne qui s’annonce soit avec de plus belles couleurs que cet été galère…

  • Gintzburger le 26.09.2019 à 7h37

    Une visite à Marcy est elle la bienvenue ?
    Bien cordialement

  • annette le 26.09.2019 à 10h30

    Difficile de dire des bons mots. Mais toujours un immense plaisir de te lire.. Un livre bientôt ?
    Amitiés, Anne

  • michel queruel le 26.09.2019 à 21h01

    enfin une bonne nouvelle Michel: tu es nominé aux « Awards de la résilience » dans la catégorie  » Tetra »
    avec une bonne chance de l’emporter d’après moi

    le coach

    ps : j’avance bien dans la préparation de mes propres obsèques sur http://www.meilleures-pompes-funebres.com , j’ai reçu un devis sans engagement assez séduisant . Je pense passer sous la barre des 800 euros, y’a rien à dire
    Pour me marrer à la case « cérémonie « j’ai coché « musulmane »

    J’ai testé dans mon entourage ça fait rire que moi
    tous racistes !

  • Alice le 27.09.2019 à 5h50

    Ben le titre est top le contenu down…
    Connais bien Marcy …haut les cœurs !!

  • Vincent le 27.09.2019 à 10h29

    J’ai adoré le titre et le texte bien sûr. Toujours un plaisir de vous lire et de prendre de vos nouvelles, A+

  • fanfan le 28.09.2019 à 18h00

    On ne s’ennuie pas avec toi! tu nous fais découvrir tout un tas de choses dont on n’imagine même pas l’existence quand on est sur deux pieds. Le titre du billet est top. Bravo à ton fils. J’espère que l’automne te sourira et que tu pourras enfin t’asseoir sur ton magnifique séant réparé… je t’embrasse

  • brahim le 30.09.2019 à 17h22

    Escarre de Langage .
    Fraichement et brillamment masteriser, le fiston signe déjà un billet sur le plus fumeux blog en ligne de prise de conscience ironique.
    Bigre, dans la famille  » C’est pas le pied » , le fiston à défaut de concurrence durable se découvre brillant .
    Les galères ça vole toujours en escadrille, c’est un fait, qq’un ou qques chose te grille ton ami-pro, peut-être les platistes…ou tout simplement une conséquence de la théorie du chaos , bref, tu te grille avec ton mac, c’est légalement positif et cela met en exergue la probité et la diligence d’une sans doute belle personne .
    après la pluie, vient le beau temps,
    c’est Constant.

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