Here come the seum
16 août 2023
Il semblerait que le rythme semestriel devienne la norme sur ce blog. Et encore, j’ai eu beaucoup de mal à mettre au clavier pour pondre ce billet. Pas envie, pas le temps, d’autres priorités, l’impression de rouler en rond ou tout simplement rien à dire … ? Sans doute un peu tout ça à la fois. Pourtant, quelques lecteurs ou lectrices fidèles n’ont pas hésité à me relancer. Un certain Claude m’adresse par exemple ce message: « Je vous écris car vos billets me manquent et je suis sûr de ne pas être le seul. Vous avez sans doute mieux à faire ou plus le coeur à ça, mais vous m’avez beaucoup apporté dans certains moments compliqués et je traverse en ce moment un gros coup de mou. Reprenez la plume et vite svp, vous nous manquez. ». Ce message m’a touché. Je lui ai répondu que j’allais m’y remettre. C’était il y a trois mois … J’ai un peu honte.
Certains de mes proches tentent de me rassurer : « Tu n’as peut-être plus besoin de cet exutoire, tu es arrivé au bout de ton processus de résilience, ça va mieux … ». Merci, mais je crains que ce soit tout le contraire. Moi aussi, je traverse un petit coup de mou, mon cher Claude. Une petite dépression ? Probable. Et ce pour la première fois depuis bientôt dix ans. Car oui, en avril prochain, cela fera déjà dix ans que ma vie a basculé du côté obscur. Je devrais commencer à m’y faire. Et non, si je dois tirer un premier enseignement de cette décennie à roulettes, c’est qu’on ne s’habitue jamais. J’ai dû sûrement vivre trop de choses avant, durant ma longue existence valide, j’ai trop de souvenirs pour me satisfaire de cette existence atone au rythme d’Ehpad. Il faudra que je demande à certaines personnes à qui il est arrivé la même chose, mais beaucoup plus jeune. Est-ce que le fait d’avoir trop de souvenirs valides empêche de s’épanouir en tant qu’handicapé moteur ? C’est tout à fait possible.
Et durant ces dix ans où je fus presque condamné à l’immobilisme, tout a tellement bougé autour de moi.
Rendez-vous compte ! En 2014, François Hollande était président de la République et il espérait toujours inverser la courbe du chômage. A part Denis Baupin, personne ne s’intéressait encore à Sandrine Rousseau. Louis Boyard, qui allait sur ses 14 ans, était déjà un piètre élève, mais allait tout de même obtenir son brevet des collèges. Les frères Kouachi préparaient leur visite chez Charlie Hebdo et nous n’en étions qu’aux débuts d’Instagram.
Dix ans plus tard, TikTok est encore allé plus loin dans l’exploration du néant. Le rappeur islamiste, antisémite, homophobe et mysogine Médine est invité aux Universités d’été EEVL et LFI. Le chômage a baissé d’un bon tiers, mais tout le monde s’en fout et les entreprises peinent à recruter. Louis Boyard est député et je trouve parfois les interventions de Jean-François Coppé (ma tête de turc au début de ce blog en 2014) voire celles de Robert Ménard (un comble) bien plus pertinentes que celles de la plupart des députés NUPES. Mais que s’est-il passé ?
J’ai beau tout faire pour garder mon sens de l’humour, il s’avère qu’une vie de tétraplégique, de surcroît déprimé et face au monde actuel, est quand même loin d’être hilarante. Pourtant, lorsque que je me réfère aux objectifs que je m’étais fixés en fin d’année passée (voir billet précédent), je ne suis pas trop mal parti.
Je n’ai effectivement pour l’heure pas excédé quatre jours d’hospitalisation en 2023. Comme prévu, je me suis fait retirer ma pompe anti-spasmes début février. Le fameux truc censé me rendre la vie plus confortable et qui me l’a pourrie depuis trois ans (relire les nombreuses publications précédentes). Une simple formalité. Et vous savez quoi ? Avec trois prises quotidiennes et modérées de Baclofène, je suis pas davantage spastique qu’avant. A se demander pourquoi je me complique la life depuis 8 ans avec un appareillage exogène et des remplissages trimestriels contraignants … Certes, mon infection osseuse, due à cette même pompe, étant plus résistante que mon cuir fessier, j’ai dû continuer à ingurgiter des antibios à haute dose jusqu’à fin avril. Un traitement hautement photosensible de surcroît, qui m’interdisait la lecture au soleil. Puis le beau mois de mai est arrivé, les fortes chaleurs également, me contraignant à lire à l’ombre. J’ai repris une vie presque normale, m’astreignant juste à ma pause horizontale quotidienne, sauf exceptions, presque toujours professionnelles. Mon corps diminué ayant donc décidé de me laisser en paix, qu’est-ce qui cloche ? Rien de précis et tout à la fois. Moi qui ai toujours adoré ça, j’ai souvent la sensation d’être une plante d’intérieur, qui cherche désespérément la lumière, mais qu’on oublie et qu’on n’arrose plus.
J’aime toujours autant mon travail, même si l’ambiance parfois pesante entre collègues n’est pas de nature à me rebooster le moral. Visiblement, je ne suis pas le seul à mal vivre mes frustrations.
Mais comme mon jeune président a décidé que je devrais travailler deux ans de plus pour bénéficier d’une retraite à taux plein, j’évite de me poser trop de questions et je fonce. Il (le Président) a également annoncé vouloir désormais rembourser totalement les fauteuils roulants, ce qui constitue au moins une joyeuse perspective pour l’avenir.
Fort heureusement, conformément à mon rite annuel, je suis parti me mettre au vert lorsque qu’Agathe eut rangé son cartable. Cinq semaines estivales en Bourgogne, pas vraiment des vacances puisque je suis désormais un adepte forcené du télétravail, mais une parenthèse évidemment bienfaitrice. Toujours ce silence, ces belles soirées fraîches, ces paysages domestiqués et paisibles, cette lumière particulière en fin de journée, ce suave pinot noir, ces parents en bonne forme, ces mirabelles et autres pêches de vigne, cette famille bienveillante …
Au chapitre réjouissances : ces belles balades en vélo avec Agathe, ou avec mes plus grands enfants, avec un handbike beaucoup moins « assisté » qu’auparavant, mais qui fonctionne. (N’en demandons pas trop), les nombreux livres dévorés, cette conjointe toujours précieuse, ces bons films, sur grand ou petit écran, ces nombreux visiteurs d’un soir ou de plusieurs, ces heures de selle à la télé, à défaut d’être sur le vélo, du Tour de France Hommes et femmes jusqu’au championnat du monde, ces beaux moments avec mes parents, qui s’accrochent … Bref, tout ce qui contribue à rendre l’existence plus douce et à s’accrocher soi-même.
Et puis, fait exceptionnel, aucun incident notable ne fut à déplorer durant l’été. Ou presque. Au tout début du séjour, la télécommande de mon lit médicalisé me lâche brutalement. Miraculeusement, celui-ci s’est figé en position acceptable. Presque à plat et juste un peu haut, ce qui nécessitera quelques efforts lors du transfert fauteuil/lit. Comme il s’agit d’un lit d’occasion acquis en 2015 via Le Bon coin, je tente d’abord de faire réparer l’accessoire défectueux auprès d’un électricien local. En vain. Par chance, ce dernier réussit à en dégoter une chez un de ses fournisseurs pour la modique somme de 280 € (Et oui, pour ceux qui l’ignoraient, le handicap est un sport de riches). Je procède à la commande en urgence et, fidèle à la ligne Amazonophobe de Blanche Gardin, je décide de confier l’objet désiré au fleuron du service public français non uberisé, à savoir Chronopost, qui me garantit une livraison en 24 heures chrono. Je m’endors ainsi apaisé, fort d’une position relevée bricolée à base de coussins, dont Chloé raffole et dispose en abondance. Le colis ne mettra pas 24 heures à me parvenir, mais 27 jours. J’avais dû mal lire les CGV. Comme quoi il ne faut jamais désespérer.
Tout ça m’a presque remonté le moral. Il est temps de rentrer. Je vais retrouver mon olivier, la clim au bureau, Lyon encore désertée et en alerte canicule orange, ses voies cyclables XL, les petits plats Picard, mes chauffeurs Optibus et mon joyeux staff d’aides-soignantes.
Ernest Hemingway déclarait lors d’un entretien*, peu avant de mettre fin à ses jours** en 1961 : « Les trois seules choses que j’ai aimé faire dans ma vie sont chasser, écrire, et faire l’amour. » La chasse mise à part (recontextualisons ça dans l’époque et remplaçons cette activité par le sport), je partage plutôt. Il va falloir que je m’y remette sérieusement.
* Entretiens avec A.E Hotchner
**Rassurez-vous ! Hemingway souffrait d’hypertension, d’une cirrhose et sombrait dans la cécité à cause du diabète. Il était bipolaire et présentait un comportement paranoïaque, peut-être lié à un début d’alzheimer. Il souffrait surtout d’hémochromatose, une maladie génétique qui provoque de sévères dommages physiques et mentaux et qui pourrait expliquer les nombreux suicides dans la famille Hemingway (son père, son frère, sa sœur et sa petite-fille Margaux Hemingway). J’ai de la marge.
Hello Mim, j’ai raté votre départ de très peu. une immense joie d’avoir partagé de bons moments avec toi et ta belle grande famille. Garde le moral car Agathe et Chloé t’entourent de tendresse et c’est important. Continue de partager ta vie sur ce blog car tu es super stimulant lorsqu’on a envie de se plaindre d’un bobo, il suffit de penser à toi et ça calme.
Bon retour à Lyon avec hélas la canicule , si ça peut te consoler elle est de retour en Bourgogne. Gros bisous à tous
Continue d’écrire . Tu as un lecteur de plus qui va attendre ton prochain billet.
J’ai bien tout lu…et sans doute pas tout envisagé à sa juste mesure. Et j’ai envie de reprendre, moi aussi, Hemingway, qui nous dit bien à propos ceci : “Celui qui a commencé à vivre plus sérieusement de l’intérieur commence à vivre plus facilement à l’extérieur.” Ce me semble caractériser très globalement cette mobilité rénovée. Bien respectueusement,
https://youtu.be/j6HS7QdSVxI Un autre Michel 😉 !
pas une ligne sur Openheimer? Barbie? Indiana Jones je comprends, mais openheimer… La théorie de Graham sur Interstellar https://youtu.be/0Pv_RTZ9ZHQ
J’espère vraiment que tu vas continuer à écrire ces billets qui nous connectent à une autre réalité – la tienne et celle de tous les handicapés . Tu nous permets d’avoir un autre regard. Ton humour, tes réflexions, me manqueraient . C’est vrai que l’on a du mal à imaginer ta vie en fauteuil quand on t’ a connu avant. Cet accident est bien étrange et perturbant . Agathe est arrivée juste à ce moment là. Quelle destinée! Je me suis toujours demandée comment tu allais évoluer suite à ce crash. Tu m’as étonnée, bouleversée, clouée sur place …j’ai suivi ton histoire à distance via ces billets et chaque fois je me disais quelle force intérieure il a. C’est un roc. J’ai pleuré souvent et ri aussi ; ton humour acéré est certainement à la hauteur de la douleur abyssale que tu as traversée et que tu traverses encore…. je t’en supplie écris encore! Merci
mille bises
Je lis depuis 10 ans sans commenter, le temps passe ! Merci de partager ces tranches de vie, les hauts et les bas. C est toujours très remuant pour tous vos aficionados.Ne lâchez pas
Moi aussi je lis, j’arrive pas à croire que ça fait 10 ans… sans trop commenter non plus, mais j’ai une admiration énorme pour votre résilience, vos analyses, votre plume, vos choix d’images. J’espère pouvoir continuer à vous lire, courage, et bravo pour tout ce chemin parcouru!
J’avais commencé à suivre tes billets peu de temps après ton accident. Et j’aimais bcp ta prose. Eut égard à sa raréfaction: je ne checkais plus le blog que de loin en loin pour constater que… « A l’Ouest, rien de nouveau ». Et donc… Je suis venu de moins en moins souvent. En gardant toutefois l’URL dans mes bookmarks. Et là, today, je ne sais pas pq, j’ai tenté. Yess! Du nouveau. Même si tout n’est pas rose, content de te lire en tt cas. 🙂