L’espoir adapté
18 avril 2017
Plus de trois semaines après sa sortie, j’ai enfin réussi à me rendre au cinéma pour voir “Patients”, le film de Grand Corps Malade. Merci à mon ami Philippe d’avoir bien voulu m’y accompagner. Car il faut noter, à ma grande surprise, que mon entourage était plutôt réticent à l’idée de visionner avec moi ce long métrage autobiographique qui relate, rappelons-le, une année passée dans un centre de rééducation pour le gratin du handicap (tétras, paras, AVC et traumas crânien). On peut comprendre mes proches, ils ont vécu ça aux premières loges durant 15 mois et sont sans doute en quête aujourd’hui d’un autre type d’émotions. J’ai proposé la chose à Johnny, camarade de promotion tétra 2014, qui n’était pas très emballé non plus. Diantre !
Personnellement, j’étais très curieux de découvrir ce film dont la bande-annonce m’avait enthousiasmé. Nous sommes de surcroît face à un petit phénomène, car contre toute attente, “Patients” a bénéficié d’un bouche à oreille surprenant et a cartonné au box Office, totalisant déjà plus de 800 000 entrées. Pour un long métrage reposant sur un sujet… difficile et pas franchement glamour, affichant un casting peu bankable, sans Kev Adams ni Christian clavier, sans super-Héros ni effets spéciaux, on peut parler d’une performance par les temps qui courent. Deuxième surprise : le public. Lors de la séance à laquelle j’ai assisté, seniors, jeunes, ados, familles, remplissaient à moitié une des salles d’un complexe très commercial. Un seul spectateur avait jugé prudent d’amener son propre fauteuil : votre serviteur. À la sortie du film, après que tous eurent soigneusement écouté la BO du générique forcément signée Grand corps malade (auquel j’ai emprunté le titre de ce billet), Philippe me fait remarquer que les gens présents me regardaient différemment. Sans doute. Ce film subtil, sans pathos inutile, contribue en tout cas à changer le regard des valides sur ces vies brisées par le destin. Pour ces meurtris, retrouver un “espoir adapté” est sans doute le plus difficile. Certains y parviendront. La plupart jamais. J’encourage les quelques lecteurs égarés sur ce blog à voir ce film. Ça leur rappellera l’ambiance que j’ai essayé de décrire dans mes premiers billets.
J’ai vu cette semaine à la télé un autre film, une comédie plus évitable mais qui m’a fait sourire. Jean Dujardin y incarne une personne de petite taille (1,36 m – exactement ma taille en fauteuil) qui avance dans la vie avec le regard permanent des autres sur sa différence. Certes, il en souffre, mais sans colère, Puisqu“il a toujours été comme ça” dit-il. Quand ça vous arrive en cours de route, il est plus difficile de réprimer sa colère et de se familiariser avec sa nouvelle identité. Car comme l’explique un des héros de “Patients”, la première caractéristique qui vous définit et qu’un inconnu va remarquer et mémoriser chez vous, ce sont vos signes extérieurs de handicap. Qu’importe que vous soyez petit, grand, gros, roux, black, tatoué, beau ou laid, bien ou mal fringué, voilée ou punk à crête, les gens ne verront d’abord que votre fauteuil roulant. C’est toujours pénible de réaliser ça, mais on finit aussi par s’habituer. “Bonjour, je voudrais réserver une table pour deux personnes pour 12h30… Au nom de Michel S, vous savez, le mec en fauteuil…si vous pouviez me réserver la table habituelle…Merci”.
Alors l’espoir adapté, les objectifs à mobilité réduite, c’est quoi ? Je m’interroge encore. Outre les activités professionnelles, qui me maintiennent la tête hors de l’eau, dans quoi puis-je me projeter ? Voyages, vacances, acquisitions matérielles…? Bof. Avant mon immobilisation forcée, je me réfugiais toujours dans la planification de défis sportifs divers, qui me tenaient éveillé. En 2013, pour fêter mon cinquantième anniversaire l’année suivante, je m’étais offert une inscription au prestigieux marathon des sables. Hélas, ce beau projet d’aventure tourna court suite à la mise au repos forcée d’un genou sursollicité. Dommage, puisque le 1er avril 2014, j’aurais dû me trouver au départ de la première étape sous le soleil de Ourzazate au lieu de pédaler dans la pénombre du tunnel mode doux de la Croix-rousse. Là, on est plutôt dans les circonstances inadaptées. La vie est parfois mal faite. Aujourd’hui, je voyage surtout à travers les réseaux sociaux et précisément, des nouvelles quotidiennes me parviennent de connaissances en plein Marathon des sables, puisque c’est la période. Des tranches de vie qui me laissent un petit goût de grande frustration, il faut bien l’admettre.
Alors quoi ? Rêver à un monde meilleur pour mes enfants, ou du moins pas pire. Et si possible plus solidaire, plus respectueux de l’environnement, moins barbare, plus juste ? Il ne me semble malheureusement pas que nous en prenions le chemin. J’ai parfois le sentiment de n’être plus en capacité de suivre un monde qui court à sa perte. Déjà spectateur de ma propre déchéance, vais-je être contraint d’assister aux prémisses de celle de notre civilisation ? Sans parler du climat international délétère animé par les vedettes que l’on connaît, rien qu’au plan national, à quelques jours du premier tour d’une élection déterminante, je dois vous faire part de ma consternation. Si on en croit les rumeurs sondagières concordantes, 45% des français en âge de voter (mais pas forcément de raisonner) choisirait un candidat europhobe et populiste, prônant un nationalisme identitaire rance d’un côté et un néo castrisme de l’autre. Deux visions dont les programmes économiques, finalement très proches, laisseraient le pays exsangue. Depuis l’avènement surprise de Trump, tout serait donc désormais possible. Presque un an après la disparition de Michel Rocard, je me demande bien ce qu’il aurait pensé de tout ça et qui aurait-il pu soutenir parmi tous ceux qui se réclament de lui..
Lors du dernier débat sur BFM TV et C8, un seul des onze candidats a parlé de Handicap. Tiens, je vais voter pour lui.
Bonjour Michel,
Quelques réglages économiques apportés par un champion de la gauche molle permettraient d’éviter au monde de nos enfants de courir à sa perte ? Dans ce cas quitte à cautionner notre société de consommation autant voter un peu plus à droite pour qu’elle marche encore mieux non ? A moins qu’il faille quelques ingrédients de gauche pour ne pas trop trahir ses utopies d’ado ?
Quoiqu’il en soit merci pour tes billets !
J’aurais pu t’accompagner moi….mais bon, Lyon , ça me fait un peu loin pour un ciné !
J’avais déjà beaucoup aimé le bouquin et cette « balade » au coeur de ce centre est tout aussi émouvante.
A voir, même pour les plus réticents .
Quant à mon 1er marathon, c’est fait ! 😉 bien que moins exotique que celui des sables, ce fut une belle journée avec une super ambiance et tous les participants ( coureurs, organisateurs, bénévoles) étaient ravis d’avoir contribué à cette réussite !
Bises.
Handicap & campagne présidentielle : j’écoutais hier soir une émission radiophonique sur ce thème parmi une série « les sujets oubliés de la campagne »….
Au delà du grand débat sur le sujet : sur le lien ci après, quelques infos des programmes : http://www.fondshs.fr/Media/Default/Docs/Politique/LivretPres2017_FHS.pdf
Tom_lecteur_égaré_cinéphil_encouragé
Bonjour Michel,
C’est la première fois que je vous écris et je voulais le faire depuis longtemps…
Très touchée par votre accident, je suis votre blog assidument depuis le début et puis en août 2014 c’est à mon tour de connaitre la maladie, les longues et interminables semaines d’hôpital, les interventions chirurgicales, les traitements médicaux lourds et douloureux et puis le pompon avec le handicap.
Nous ne partageons pas le même handicap. Moi il ne se voit pas physiquement hormis le fait que j’ai une canne blanche mais je me suis tellement reconnue dans vos messages. Qu’ils soient tristes ou plein d’espoir, je ressens exactement les mêmes choses. En vous lisant, j’ai l’impression de m’entendre parler.
Ah le handicap avec grand H… à nous deux on pourrait écrire un livre bien plus épais que le Vidal. Ce monde qui nous était inconnu et que l’on prend en pleine figure un beau matin. Ce monde qui effraye tellement qu’il rend la plupart des gens idiots et qui pensent surtout que cela ne leur arrivera jamais… (Je me marre !)
Oui, il faut être sacrément fort et bien entouré et nous avons tous les deux cette chance !
Allez courage, les beaux jours arrivent et ça va nous redonner la… patate !!!
Je vous embrasse bien affectueusement,
Sandrine Duverger
Je rajoute « patients » dans ma « To See Liste », merci Michel.
A une prochaine fois,
Pierre-Alain
Pas encore vu le film, je connais son bouquin et j’irais le voir, Fabien Marsaud c’est un homme juste et profondément humain, il éclaire nos lanternes. J’aime aussi Alexandre Jolien qui nous apporte ses éclairages avec humour et amour :
« …L’expérience du yaourt, c’est l’expérience de l’acceptation. Je ne peux pas ouvrir un yaourt comme les autres. J’ai besoin de mon fils de six ans pour le faire. Mais c’est fou comme l’expérience de la souffrance est parfois proche de celle de la joie et du bonheur. Trop souvent, j’ai tendance à opposer la joie et la souffrance. J’étais incapable d’ouvrir un yaourt, mais ce moment a été celui d’une complicité sans nom avec mon fils. »
Petit traité de l’abandon : Pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose de Alexandre Jollien.
Mim plein de bises pour toi !!! et moi aussi j’espère que le résultat dimanche soir me rassurera sur notre humanité, nos capacités à vivre ensemble, à partager, et entérinera le respect de notre belle devise « liberté-égalité-fraternité » (plutôt malmenée ces dernières années). Le pire n’est jamais sûr !
A tout bientôt ami.
A défaut d’avoir vu le film (que j’aurais rêvé voir avec toi, je suis jalouse, Philippe…), je viens de terminer « patients », le livre. J’avais l’impression de lire à la suite 20 articles de ton blog. Incroyable comme vos parcours se ressemblent et vous avez la même utilisation de l’humour pour dynamiter l’horreur. Je connaissais mal Grand Corps Malade, me voilà fan!
Je te rassure, il n’en est pas de même pour ton beau blond aux yeux bleus qui continue à me laisser de marbre. Allez, tout le mal que je lui souhaite, c’est de m’obliger à voter pour lui le 7 mai prochain!
Je t’embrasse,
Pas évident pour moi de voir un film après avoir lu le livre : bien aimé les deux, mais j’ai plus apprécié le livre :
« « Votre fils ne marchera plus », voilà ce qu’ils ont dit à mes parents.
Alors j’ai découvert de l’intérieur un monde parallèle,
Un monde où les gens te regardent avec gêne ou avec compassion,
Un monde où être autonome devient un objectif irréel,
Un monde qui existait sans que j’y fasse vraiment attention.
Ce monde-là vit à son propre rythme et n’a pas les mêmes préoccupations,
Les soucis ont une autre échelle et un moment banal peut être une très bonne occupation,
Ce monde-là respire le même air mais pas tout le temps avec la même facilité,
Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés.
On met du temps à accepter ce mot, c’est lui qui finit par s’imposer,
La langue française a choisi ce terme, moi j’ai rien d’autre à proposer,
Rappelle-toi juste que c’est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin,
Et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est d’abord un être humain. »
« Elle est marrante aussi, cette phrase réflexe : « Ne bouge pas. » Dans notre situation, elle est complètement inappropriée, mais on se la sort quand même à tout bout de champ.
C’est comme quand tu dis à un aveugle : « On se voit demain. » »
« J’étais allongé sur un brancard, dans le couloir. On m’avait certainement installé là en attendant de finir de préparer la chambre où j’allais être installé. Un médecin était passé, s’était penché au-dessus de moi et m’avait regardé. Je le regardais dans les yeux, il voyait bien que j’étais tout à fait conscient, mais que je ne pouvais lui parler à cause des tuyaux dans la bouche. Il m’avait dévisagé, mais n’avait aucunement éprouvé le besoin de me dire bonjour. Au lieu de ça, il avait ouvert mon dossier médical posé sur brancard et s’était mis à crier juste au-dessus de moi « il est à qui, ce tétra, là ? » »
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Pour demain j’espère que tu auras une salle de vote, un isoloir, une urne adaptés pour encore croire à une vie avec des actions de solidarités en hausse et celles des profits à court terme en baisse
Salut Michel,
Ce qui te différencie avec la plupart des gens c’est juste que toi tu es toujours assis. Sinon pour moi ça ne fait aucune différence de ce que tu es, tu n’as pas changé. Je t’ai toujours apprécié énormément. Ce n’est pas tes difficultés, quelles qu’elles soient, qui te font changer de valeur…
Amitiés
Karl
Salut Michel,
Bon, déjà, Télérama + France Inter dithyrambiques sur le même film, ça ne peut que m’inciter à aller le voir.
Le temps m’a manqué jusque là, mais je ne désespère pas d’en trouver si le film passe encore quelque part (diable de ville où on a pas le droit d’avoir 2 mois de retard pour voir un film sorti depuis longtemps !!).
Souhaitons, pour dimanche, que l’abstention ne porte pas préjudice au résultat. C’est là le plus gros problème… Et moi aussi, à défaut d’être convaincue, je décide de donner ma voix au seul candidat qui propose d’améliorer l’accompagnement des élèves handicapés à l’école, parce que cela fait partie des indignités notoires d’une société comme la nôtre. Entre autres…
Bises de nous quatre et à très bientôt,
Lidwine
Depuis notre petit échange sms, les élections sont passées, et les discussions conjugales ont retrouvé un peu de calme… Derrière nous, en tout cas momentanément, certaines candidatures, minuscules ou terriblement menaçantes. Mais du boulot pour les 5 ans qui viennent.
Je pense à toi les jours de pluie, que tu ne dois pas aimer.
Mais quand il pleut, on va plus souvent au cinéma, alors tu peut aller voir Get out.
Des bises
Isabelle
J’ai vu le film comme je te l’ai dit dans le précédent billet et j’ai pensé à toi tout le long en me demandant si ce que tu avais vécu ressemblait à ça. Il semblerait que oui! il y avait un jeune homme en fauteuil dans la salle … j’aurais ainé que ce fut toi… mais non. Vous feriez un beau tandem toi et Grand Corps Malade. Je rêverai de vous voir slamés ensemble!!!! qui sait??
je t’embrasse
Bonjour Michel,
Contrairement à ce qu’affirme le personnage joué par Jean Dujardin, je t’assure qu’on peut avoir un handicap de naissance et être très en colère quand même. Certaines personnes plus sages parviennent peut-être à la transcender mais personnellement, je n’en suis pas encore là…
Dans la rue, dans le métro, souvent des gens me demandent si mon handicap est de naissance. Et quand je leur réponds par l’affirmative, ils concluent généralement : « Ah, tant mieux ! Parce que quand ça arrive brutalement, c’est beaucoup plus dur ! » Alors je leur pose la question : « Pensez-vous qu’il est plus facile de devoir réapprendre à vivre différemment avec tout ce qu’on a déjà appris avant ou de se construire dès son plus jeune âge en étant différent des autres ? » Je me garderais bien de répondre. Chaque situation a selon moi ses avantages et ses inconvénients. Ce qui fait la différence, c’est la force de caractère, et si Dieu existait, je le remercierais de m’en avoir bien pourvue.
Bon courage à toi !
Lise
Oui, regarder le spectacle politique actuel et les perspectives qui en découlent ne fait pas de bien au moral…. mais il y a heureusement nos familles, la nature et tellement d’autres choses.
Je pense à toi.
De : Monthelier
Sujet : Tu nous bluffes
Tu nous bluffes !
Bonjour Michel, J’ai 74 ans, je fais partie des gazelles réunies en 2008 autour de Catherine Dubois. Je suis une coureuse très modeste et j’avais eu l’occasion de te croiser à ton agence pour une inscription à une course. Ton accident nous a bouleversées et j’ai essayé d’assister à ta conférence récente mais c’était complet. Tu es une belle personne et tu nous donnes une leçon de dignité avec l’humour qui est, paraît-il, la politesse du désespoir. Salut Mec !
Geo
Un p’tit billet en ce début d’été pour nous donner de tes nouvelles ?….
Philkikou a raison…. un petit billet estival nous ferait plaisir!!! on est casse pied n’est ce pas? on devient exigent…. big bisous
Mim, ça va ???? tu nous dis quoi ces temps ? J’espère que tu vas bien 😉 (et les « filles » aussi), des bises fraîches du jour en attendant tes mots, ton flow…