Le monde d’après
15 juillet 2020
Je n’ai rien contre le handicap. Mais il faut reconnaître que depuis que nous avons un tétraplégique H 24 à la maison, la vie est quand même beaucoup moins drôle et manque cruellement de spontanéité. Moins de sorties, de shopping ou de week-end rando improvisés, mais c’est surtout pour organiser nos vacances que c’est devenu très… limité. Nul besoin, en cette période de déconfinement post Covid, de nous exhorter à rester en France, nous n’en sortons plus depuis sept ans. A l’heure où de grandes villes françaises dont Lyon ont soudainement viré au vert, au terme d’un suffrage qui a suscité autant de polémique que d’indifférence, notre famille affiche une exemplarité certaine en terme de sobriété carbone, du moins pendant les congés. Située à 160 km de Lyon, notre bâtisse bourguignonne, agréable mais sans ostentation, désormais parfaitement adaptée à mes mouvements, ma quête de quiétude et à mes modestes activités, est devenue une valeur refuge. Profitant d’une activité partielle malheureusement prolongée et d’une certaine aptitude au télétravail, je suis parti me reconfiner avec compagne, enfant, chat et livres au milieu des vignes pour 45 jours. Privé l’an passé de ces paysages essentiels et de mes parents, le temps que différentes plaies plus ou moins profondes ne cicatrisent (voir publications 2019), je me suis octroyé cette année les plus longues vacances de ma vie professionnelle (séjours hospitaliers et confinement exclus).
Sinon, vous l’aurez compris en lisant ces lignes, j’ai échappé, en tant que personne à mobilité réduite mais à risques élevés de complications, à ce terrible coronavirus SARS-CoV-2, et ceci sans recours à la chloroquine. On peut noter que ce fléau ultra médiatisé affiche au final un bilan en mortalité assez médiocre comparé à un banal cancer. Ce dernier continue en toute discrétion à tuer 150000 personnes chaque année en France, tout en étant beaucoup moins sélectif en terme de classes d’âge. Pierre, mon jeune beau-père, né la même année que Brigitte Macron et Dorothée, a eu la délicatesse d’attendre la fin du confinement pour tirer sa révérence et sortir enfin de cette spirale tumorale mortifère. Il va drôlement me manquer. A ce titre, il est regrettable de constater que, durant le premier semestre 2020, les gens ont préféré investir dans les sucres lents et le papier hygiénique que dans la recherche contre le cancer. Chacun ses priorités.
Dans le monde d’après, dont on entend tellement parler depuis quelques mois, la priorité serait plutôt à la décroissance et à la résilience. Et visiblement, dans cette optique, les personnes en situation de handicap pourraient faire figure de modèle. Oui, oui. Une récente tribune dans Le Figaro, signée par un collectif de citoyens, scientifiques, artistes et politiques (Non, il ne s’agit pas d’une énieme tribune contre le racisme d’état, les violences policières, le consumérisme ou l’islamophobie) appelle en effet à se tourner davantage vers les handicapés, dont la faculté de résilience serait un exemple dont il faudrait s’inspirer pour construire ce nouveau monde. Ah bon ?
Il est vrai que ma communauté coche pas mal de cases. En matière d’écologie tout d’abord, faire autant, voire plus, avec moins, c’est un peu notre quotidien. Sur le volet solidarité, nous bénéficions, avec quelques onze millions d’aidants en France, d’une certaine expertise. Enfin, le service à la personne, les mises en accessibilité, l’innovation, pourraient permettre de créer de nombreux emplois non délocalisables. Sur le dernier point, il est souvent vrai que ce qu’on imagine et conçoit pour les personnes handicapées profite ensuite à la société toute entière. Par exemple le SMS, la télécommande ou la synthèse vocale, mis en place à l’origine pour les personnes handicapées sont aujourd’hui entrés dans le champ commun. Génial ! Après avoir été grande cause nationale, le handicap incarnerait donc aujourd’hui le rebond d’un modèle à l’agonie. On a déjà fait plus vendeur comme image, mais pourquoi pas…
A Lyon, ce monde d’après est déjà en marche (…). La nouvelle équipe municipale a eu la très bonne idée de désigner une femme comme premier adjoint, ce qui constitue déjà une nouveauté majeure entre Rhône et Saône. Mais qui plus est écologiste et tétraplégique. On est déjà sûr, à minima, que le bureau et l’oreille de l’édile seront plus accessibles à notre minorité visible. Cette nouvelle équipe a des idées d’inclusion plein les sacoches, arguant notamment le respect d’une pleine citoyenneté pour les personnes handicapées. Heureux d’apprendre que je n’étais jusqu’alors qu’un demi citoyen, je suis curieux de voir à l’œuvre leur “brigade accessibilité”, en charge de réaliser promptement tous les travaux d’adaptation nécessaires, et à laquelle je ne manquerai pas de faire remonter les petits couacs constatés au quotidien lors de mes périples dans la jungle urbaine. Autre engagement de campagne et non des moindres : Garantir l’accessibilité universelle effective, incluant le FALC (Facile A Lire et Comprendre). De ce point de vue, ça commence mal. L’adoption officielle dès les premiers jours du mandat de l’écriture inclusive dans toute communication municipale apparaît non seulement comme une posture insipide, mais potentiellement discriminante, voire validiste. Essayez de faire passer un texte rédigé en écriture inclusive dans un logiciel pour malvoyants et vous verrez, enfin entendrez ce dont je veux parler. C’est proprement incompréhensible. Dommage qu’un truc purement symbolique qui se veut inclusif exclue au contraire l’un des seuls groupes pour lequel la communication est déjà compliquée.
L’autre grand chantier des élus écologistes sera bien sûr le développement de la part du vélo dans les déplacements. C’est également mon principal objectif cet été et, bonne nouvelle, le fameux hanbike, acquis il y a bientôt trois ans et qui m’a valu moult déboires techniques, fonctionne enfin. Mes premières vraies sorties, entre 20 et 30 km, sont proprement enivrantes. Une fois en place sur mon engin, ce qui relève déjà de la prouesse technique, le processus d’inclusion est optimal. Mon rayon d’action, ma vitesse, mes sensations, tout est démultiplié. Même le regard des autres change. Les cyclistes que je croise ou que je double ne voient plus le handicap, mais un des leurs sur un vélo couché. Le bénéfice physique et psychologique est immense, du moins quand tout se passe bien. Quelques réglages semblent encore nécessaires pour être totalement autonome. Savoir anticiper les demi-tours, qui exigent un diamètre de braquage important, les changements de vitesse avant une bosse, ou les démarrages en côte en font partie. Mais je ne dois pas oublier que de passer de quatre à trois roues ne me rend pas moins vulnérable. Une sortie par très forte chaleur constitue par exemple une lourde erreur. J’en ai fait récemment les «frais ». Mon corps en surchauffe, incapable de se thermoréguler, n’est plus en mesure de fournir le moindre effort. Le retour fut assez compliqué…De même, je dois rester attentif à la tenue de route de ma monture. Dès ma troisième escapade, celle-ci s’est renversée dans un virage. Mon amie Claire ayant coupé au plus court pour rejoindre l’arrivée, je vécus un petit moment de solitude couché au milieu de la route. (Merci à l’automobiliste qui m’a remis sur mes trois roues). Le soir même, un copain d’enfance, croisé à la terrasse d’un restaurant du village, m’interroge à propos de mon coude, qui porte les stigmates de l’incident. Quand je lui réponds qu’il s’agit d’une simple chute à vélo, il s’esclaffe. Je vois bien qu’il ne me croit pas. Dans le monde d’après, peut-être.
Au delà de te croire, je fut surtout impressionné, mon rire n’était que surprise et admiration…
Oh purée c’est chaud de chaud ta chute, fait gaffe à toi Michel.
Bravo pour ces progrès et encore merci pour ces tranches d’humour 😉
Salut, heureux de te voir remonter sur un vélo mais pas autant que toi
Je ne sais exprimer ce que je ressens en voyant cette image. Profite. Je vous embrasse.
Quelle nouvelle, enfin tu remontes sur un vélo et tu retrouves le plaisir de la sensation de la vitesse sur le visage. Mais quelle joie. Les vignes de santenay vont saluer ton passage avec respect, admiration et humilité.
Je t’embrasse
De nouveau en selle, jamais désarçonné… ou presque ! J’espère que cet été particulier s’est bien déroulé comme sur des roulettes, sans roulé boulé, ni arrêt pour cause de surchauffe .. réponse dans le prochain billet de fin d’été
Je lis votre billet quelques semaines après. J’espère que vous avez pu profité de quelques sorties malgré les fortes températures de ces deux derniers mois.
Belle route à vous encore !
C’est jouissif de lire tes exploits car on peut parler d’exploits me semble-t-il?
« le fameux handbike » marche enfin… il faut faire preuve de patience.
En te lisant je me disais que tu pourrais donner quelques bons conseils de bon sens à notre nouvelle équipe municipale. Bonne continuation Michel et au plaisir de parcourir encore tes billets. Bises