Journal d’un confiné – 2220 ème jour
27 avril 2020
Et voilà ! Encore un truc que je n’avais pas prévu ! Décidément, depuis six ans, personne ne pourrait décemment affirmer que ma piètre existence cède à la monotonie. Après l’accident, le handicap, la difficile reconstruction, les complications, le déménagement, la paternité, les doutes, les silences, les trahisons, les escarres…, voici la méga pandémie qui met l’humanité à genoux.
Cette fois, j’avais comme un pressentiment. Je fus même tenté de clore là-dessus mon précédent billet de blog, peut-être trop positif. Mais ce SRAS d’origine sino-pangolinesque n’était alors qu’une très lointaine menace qui n’affolait encore personne, ni nos autorités médicales, ni nos élus, ni nos journalistes alertes, focalisés sur la cérémonie tumultueuse des César et l’usage anticonstitutionnel du 49.3. Même le plus grand spécialiste mondial et marseillais de l’infectiologie se voulait rassurant sur You Tube, évoquant tout au plus une grippette saisonnière. Ainsi rassuré, je me préparais davantage à encaisser la vague verte des municipales que la vague bleue du Covid-19.
Pourtant, tandis que je m’apprêtais à fêter sobrement mon anniversaire début mars au cœur de mon fief bourguignon, l’annulation soudaine du semi-marathon de Paris fut pour moi l’équivalent de deux roues qui explosent simultanément sur mon moyen de transport attitré. Malgré le maintien des matchs de Ligue 1 et du premier tour des municipales, cette nouvelle me plongea dans un certain mutisme tout le week-end, n’osant avouer à mon proche entourage que mon optimisme de reconquête venait d’être dissous dans la chloroquine. Stoppé net dans cet irrésistible élan, j’optai peu après, comme « presque » tout le monde, pour un mode de vie plus sédentaire. Le temps de fermer boutique et d’ouvrir une plus ou moins longue parenthèse professionnelle, je retrouvai mon domicile dont je ne devais plus m’extraire durant…55 jours. Les 55 jours d’un pékin moyen face à la plus grande crise sanitaire depuis un siècle. A part deux sorties brèves muni de ma nécessaire attestation, l’une à caractère professionnel et l’autre pour raison médicale, et ayant renoncé à me remettre à la course à pied pour faire le tour du quartier en short, mon univers physique se limitait à un grand salon transformé en atelier de tests Toys « R » Us, notre chambre avec vue sur olivier bicentenaire et notre jardin tiré de sa torpeur par un printemps étrangement précoce. Ainsi privilégié, le bobo lyonnais, même handisport, n’éprouve nul besoin de partir se confiner à l’île de Ré où dans le Lubéron. Et puis, en matière de confinement, je bénéficie d’une solide et précieuse expérience. Confiné à l’intérieur de moi-même depuis que la moitié de mon corps a sombré dans une irréversible minéralisation il y 6 ans, j’ai passé plus de cinq mois en 2019 reclus dans mon lit ou dans une chambre d’hôpital. C’est dire combien ce confinement grand public me paraît une épreuve hautement supportable. Hormis quelques heures quotidiennes de télétravail, je passe majoritairement mes journées au soleil, le nez au vent ou dans les livres, contemplant Agathe, le chat et la nature qui s’épanouissent en harmonie. Je reçois en revanche moins de visites. Mais certaines âmes bienveillantes s’enquièrent régulièrement par téléphone de la manière dont je vis cette période. « Bien », est ma réponse usuelle. Mis à part physiquement, économiquement, professionnellement, psychologiquement, sexuellement, intellectuellement et sportivement, tout va pour le mieux. Merci !
Et pourtant, je n’ai pas franchement hâte de ressortir. J’ai un peu le sentiment que dehors, mis à part les soignants applaudis chaque soir à 20 heures, personne ne respecte plus grand chose. Ni le confinement, ni la science, ni les cyclistes, ni la légitimité démocratique, ni la simple décence… Au risque d’être carrément indigne, chacun y va de sa petite indignation quotidienne, sa pétition en ligne contre tout et n’importe quoi. Chacun flirte avec sa théorie complotiste bas de plafond ou la fake news du jour, sans complexe ni recul. On manque de tout. De masques, de tests, de respirateurs, de lits, de liberté, de pognon, de PQ, de Big Mac au Mac Drive, de discernement, d’humour…mais pas de petits procureurs. Tout ça me fatigue considérablement.
Certains militants d’opposition zélés se sont même émus que les personnes en situation de handicap soient honteusement abandonnées à leur triste sort durant cet épisode de confinement liberticide. Ah bon ? Ils sortent beaucoup les handicapés d’habitude ? S’il est vrai que je peux moins compter sur mon kiné en ville, mes chauffeurs Optibus ou ma salle de sport pour « tout cassés », je peux cependant modestement témoigner d’une chose, c’est que la continuité des soins que requiert le handicap est assurée jour et nuit. J’avoue que j’ai mûri quelques craintes au départ, après avoir reçu quelques mails anxiogènes de l’organisme qui organise ces tournées. Il a certes fallu aménager les horaires, mais chaque jour, mes soignants assurent. Même si désormais le port du masque et du tablier me prive de la contagiosité bénéfique de leur sourire matinal et de leur féminité ostentatoire. Donc non, l’handicapé ne se sent pas spécialement plus ostracisé que d’usage lors de cette période de repli collectif.
Et qu’est ce que le handicap sans la douleur physique ? Une infirmité avec laquelle on apprend à composer, à plus ou moins long terme. Ce qui n’exclut pas la souffrance psychologique, sans doute. Mais la vie est faite de renoncements. Tandis que la vraie douleur, celle qui vous transperce, celle qui ne quitte plus Pierre, mon « beaup », en lutte contre un crabe obstiné et invasif, est un vrai sujet. Car il ne fait pas bon mener seul ce combat dans une période où l’ennemi public désigné est tout autre. Je pense à lui et je relativise, m’obligeant même à conclure sur une note optimiste. Vivement qu’on remette le nez dehors ! Pour profiter du printemps, des terrasses de café et des gilets fluos qui ne manqueront pas de refleurir sur nos ronds points et dans nos centres-villes. J’en rêve.
Votre texte est à mettre entre toutes les mains.
Merci pour vos mots !
Salutations !
Toujours aussi bon !
Toujours aussi plaisant de lire ton blog toujours aussi bien écrit. Amicalement
Merci
Merci Michel
Bon courage à toi et à très bientôt
Bisous
J’ai suivi les recommandations de Donald depuis le début du confinement, avec les UV ….j’hésite encore pour les injections de désinfectant ! 😉
Drôle de période tout de même.
Bisous
Bon, Michel, depuis le 21 mars dernier je fais partie, comme toi, des personnes « vulnérables et fragiles » exposées à un risque individuel très élevé de développer des formes graves de coronavirus . D’un coup ça rend humble. Mais je vois qu’on représente 25 % de la population, ça réchauffe le coeur !
Par contre on a du souci a se faire : le gouvernement nous recommande de « respecter un confinement strict et volontaire » mais il ne sera pas derrière nous pour vérifier. C’est un truc qui m’inquiète un peu. Je me connais bien maintenant . Dès qu’il n’y a plus personne pour me dire ce qu’il faut faire, je déconne . Et quand il faut pendre une décision importante, je choisis toujours la facilité . J’ai toujours fais comme ça et y’a pas de raison que ça change à 70 balais
Bref tout ça est un peu nouveau pour moi et l’échéance se rapproche . Le gouvernement va nous informer « clairement » et ce sera à nous de jouer , de faire un choix « éclairé et personnel « . P…. je suis mal
PS :Heureusement tout sera mieux dans le monde d’après. Hormis la vie « sans contact » qui va marquer la fin de la bise entre vieux à Parilly, je me réjouis par avance de toutes les belles choses qui vont nous arriver à commencer par l’argent magique, la monnaie
« hélicoptère » et la dette perpétuelle .Ils sont forts ces Millennials
Merci pour ces mots si lucides.
En espérant que les nouvelles mesures de 1 à 100kms te permettent un confinement plus large et supportable, même si côté supporter le confinement tu maitrises !… Merci pour tes billets d’humeur et d’humour qui font du bien à lire ( et je pense pour toi à écrire..)
La nouvelle poésie du banal « ça va toi ? » d’Adeline Dieudonné
https://www.facebook.com/watch/?v=3439937349356368
Salut Michel,
belle synthèse de la situation.
Une amie, dont la position politique varie avec celle des ses amants et qui est passée de droite conservatrice à gauche ++ , disait qu’il fallait mieux faire confiance au peuple pour gouverner et nous sortir de cette crise sanitaire, je répondais que j’avais un peu des doutes quand je voyais le peuple faire des réserves de PQ et 3h de queue pour un Mac Do.
En étant optimiste on va dire que l’humanité est diverse.
C’est le Coach qui m’a redonné tes coordonnées que j’avais un peu ….oublié.
A+
Bonjour Michel,
très pertinent le paragraphe sur les procureurs, comme le reste d’ailleurs.
Amicalement.