Je roule sur l’or
27 décembre 2018
Étrange période, durant laquelle je me suis senti doublement stigmatisé en tant que membre d’une minorité. D’abord en tant que personne affublée d’un handicap ostentatoire, ensuite de par mon opposition spontanée au mouvement des paletots canaris, soutenu au départ par une majorité écrasante de mes concitoyens.
Le soleil s’est fait la malle, et à part le vrai peuple en révolte aux ronds points, avant qu’il ne vire au brun, rien de bien lumineux pour remonter le moral d’un « tétralangui » consigné au lit durant presque 15 jours, le temps que cet escarre mal placé ne se résorbe.
C’est presque chose faite. La plaie devrait disparaître en même temps que 2018 et le mouvement insurrectionnel sus nommé.
Étrange période, où la station couchée, peu confortable pour la lecture, m’a fait délaisser les livres pour la tablette. Une position stratégique pour explorer l’immensité de la crétinerie humaine et des bas instincts sur les réseaux sociaux. Tout compte fait, je préfère mon handicap à moi.
J’ai repris le chemin du travail avec gourmandise, avide de stimuler mes neurones intactes. C’est étrange comme je vais bien. A part cet incident dermique -le premier depuis ma sortie de l’hôpital-, tout est sous contrôle.
Certes, mon médecin généraliste plaide pour que je procède enfin à cette analyse sanguine globale. Pour quoi faire ? Lui demandai-je.
« Passé 50 ans, il convient de vérifier régulièrement certaines choses. » me rétorque t-il. Je n’ai pas réussi à lui expliquer pourquoi je n’en avais rien à cirer.
Car pour l’heure, je me porte comme un charme et ce qui pourrait m’arriver demain m’importe assez peu. Le pire est passé, en quelque sorte.
Je vais bien, je dors comme un bébé et étrangement, autour de moi, si tout le monde marche, c’est souvent de travers. Entre burn out, crises de couple, solitude moderne, dépression chronique, tumeurs, névroses et addictions diverses…, j’ai parfois l’impression d’être le nanti de service. Je devrais leur dire d’en profiter davantage. De courir, de marcher sans but précis, de danser, de niquer debout, de voyager, de jardiner,… De jouir de la vie à la verticale avant que l’espèce humaine ne mette la Terre à genoux. Ce qui est pour bientôt, paraît-il. En bon urbain privilégié de centre-gauche à éducation et revenus substantiels, j’essaye bien sûr modestement de participer à cette prise de conscience collective. Mais cet engagement n’est pas simple pour un bobo handicapé. Prenez par exemple le combat pour la déplastification de nos modes de consommation, soutenue par des lois récentes au plan national ou européen visant la disparition des produits à usage unique. Les eurodéputés ont en effet récemment soutenu à une large majorité un texte visant à interdire les cotons-tiges, couverts, assiettes et autres pailles en plastique. De là à stigmatiser toute une communauté de blessés médullaires, il n’y a qu’un pas… Rien que pour mon cas personnel, en cumulant chaque jour cinq sondes urinaires pré-lubrifiées avec sac de 1 litre intégré, sans oublier alèses, gants à usage unique, lingettes, sacs poubelles, pansements, accessoires et emballages divers…, je suis une vraie plaie pour la sécurité sociale et pour la planète. Ajoutons que je me déplace désormais davantage en véhicule utilitaire diesel avec chauffeur qu’en Vélo’V et que mes roues de fauteuil à assistance nucléaire nécessitent une bonne recharge tous les trois jours. Je ne suis donc pas précisément un exemple de sobriété pétrochimique ni un modèle de décroissance. Constat paradoxal, je n’arrive même pas faire des économies sur les chaussures, qui pourtant dans mon cas restent toujours neuves. Alors que j’aurais pu aisément me satisfaire d’une unique paire depuis que je roule, je me retrouve au contraire, par pure coquetterie, à la tête d’une collection assez fournie de baskets en tous genres… neuves. J’en ai bien offert une dizaine de paires à mes proches depuis quatre ans, mais je ne viendrai jamais à bout de cette accumulation matérielle absurde.
Du coup, avec mes Nike jaunes toutes neuves, je me suis rendu à l’hôpital Henry Gabrielle pour ma visite annuelle de suivi, établissement dans lequel j’ai passé quinze mois entre 2014 et 2015. Sans doute les mois les plus difficiles de ma vie. Les plus courageux pourront relire les 23 premiers billets de ce blog, qui relatent avec moult détails cette parenthèse désenchantée.
Dans les couloirs old school de cet hôpital spécialisé en sursis, on croise des professionnels souriants qui vous reconnaissent et se réjouissent du chemin que vous avez parcouru. On y croise surtout des patients mutiques à différents stades de leur apprentissage, notamment des néo tétras, un peu hagards, seuls ou avec leurs conjoints en visite. Dans leurs regards, on peut lire la même détresse. Celle de l’individu qui n’a pas encore tout à fait réalisé que sa vie d’avant est terminée et qu’une vie d’après est possible.
Il m’a fallu quatre ans pour acter cela et presque cinq pour arriver au terme des négociations entre mon avocat et les assurances adverses. Je connais aujourd’hui précisément le prix des préjudices divers (fonctionnel, matériel, esthétique, affectif, professionnel, d’agrément, d’accompagnement, sexuel…) subis par mon entourage et par moi-même. Une fois amputé de ma grosse part de responsabilité et des honoraires mérités du cabinet, qui s’est donné du mal, il reste certes une somme rondelette, mais je me demande après coup si le jeu en valait vraiment la chandelle…
Qu’importe, profitons ! Je me lâche et j’investis dans la construction d’une large terrasse arborée devant ma demeure bourguignonne. Plateforme qui me permettra d’entrer et de sortir à ma guise, de lire au soleil du matin au soir, d’organiser des grandes tablées avec mes potes et de savourer un petit pète au crépuscule, face aux collines mordorées.
Un peu de confort ne nuit pas.
salut l’Ami!
Tu nous fais marcher sur les mains, tu nous retournes l’estomac (ennuyeux en ces périodes de fêtes!! haha), tu nous transportes sur une autre planète, tu nous fais voir rouge ( au fait, super tes Nike jaunes!) , tu fais chavirer notre petit confort bourgeois …. un jour tu rouleras sur la lune Michel! tu vas plus vite que nous, tu es prêt. A tout. Pour tout.
Grâce à toi je parviens (quelquefois) à voir la vie en rose même quand je ne suis pas dans les bras de qui tu sais.
Je t’embrasse très fort. Mille baisers parfumés pour accompagner ta position allongée . Et bien sûr je n’évite pas le traditionnel « A l’année prochaine! » que l’on entend à longueur de journée ces temps ci.
Encore un petit mot que j’adore : MERCI…. MIMI
Une pépite ce billet !
Tu as bien raison ! Achète des pompes, laisse parler ton médecin, bétonne un bout de ton jardin…..pas trop quand même, le prunier ne sera pas sacrifié ? 😉
Je t’embrasse Michel.
même pas fluos, tes pompes jaunes…..
Beau rétablissement Michel , bravo
ça donne presque envie d’avoir un handicap !
Un petit au début, pour voir, et un mieux , si ça marche, pour plus de bonheur.
Fais gaffe à ta santé quand même. Ton toubib a raison.Aucun examen entre 50 et 54 ans, c’est pas prudent. A t ‘obstiner comme ça tu risques de graves ennuis de santé.. Je sais que tu ne feras rien . C’est ton esprit « gilet jaune »
Bon maintenant que t es un vrai nanti j espère que tu vas un peu penser aux gens qui souffrent. Et si tu faisais un tour sur un rond point pour donner la main aux « gilets « ?
Le coach
Merci Mimi, je t’envoie mes meilleurs voeux pour 2019 !
J’ai le plaisir de te lire, merci à toi de ne pas cèder à l’amer.
Plein de bisesssssss 😉 à partager.
Il vaut mieux des pompes jaunes que des pompes funèbres.
—————————
Toujours un plaisir de te lire,
accompagné de sourires.
Souffrir
sans trop le dire.
Vers les autres s’ouvrir,
écrire,
et leur offrir
ta prose à lire.
Du pire au rire,
toujours de quoi se réjouir.
Et pour finir
« Vivement le prochain billet à lire! »
Toujours aiguisé et plaisant à lire : à mon avis, pour conjuguer décroissance et avidité basketulaires, tu pourrais te mettre aux minimalistes non ?
Comme m’a dit un jour très posément mon médecin généraliste auprès de qui je m’interrogeais (légitiment, et tout comme toi), sur le coût assez faramineux que peut vite engendrer le handicap pour la sécu : « ne vous inquiétez pas madame, des études ont été faites et elles sont formelles : toute personne, handicapée ou non, coûte plus cher à la sécu dans ses 3 derniers mois de vie que tout le reste de son existence ».
Ah ben oui, vu comme ça, je sais pas si ça console, mais ça permet de relativiser, c’est sûr 🙂
Mis à part que tes baskets auraient pu au moins être aussi fluo que le gilet jaune pour des questions d’unité graphique, j’adore cette photo 🙂
Et vive les agrandissements de terrasse pour boire des coups et en profiter à plein entre amis : ça n’a pas de prix ! (les coups à boire et les amis)
Plein de bises
Lidwine
Peut-être que si tu arrivais à recycler ton matériel médical à usage unique en paires de chaussures…
Et meilleurs voeux, au fait !
Bravo Michel pour ce blog. Drôle, caustique et intelligent.
Sonia C. ex AS aux APF
» Je devrais leur dire d’en profiter davantage. De courir, de marcher sans but précis, de danser, de niquer debout, de voyager, de jardiner,… De jouir de la vie » M.S.
Merci à toi Michel 🙂