Un millésime à oublier
20 août 2021
J’ai encore vécu un été singulier. Rien ne s’est vraiment passé comme prévu.
Ou plutôt si, j’ai revécu globalement le même scénario qu’en 2020, la météo exceptionnellement pourrie en prime. Le pitch est simple. Je débute mes vacances en pleine forme avec l’objectif de voir un maximum de paysages au guidon de mon handbike. Ma machine tombe rapidement en panne et la dernière semaine, je finis à l’hôpital. Rien de bien neuf pour ceux qui me suivent.
Bon, ce serait mentir que de considérer la vie du tétra, d’une façon générale, comme trépidante. Je me demande d’ailleurs comment font certains de mes confrères à roulettes pour vivre des vies apparemment géniales et les étaler quotidiennement sur les réseaux sociaux. Si si, je vous assure, ça existe. Certains publient dix photos par jour, couvrant le moindre de leurs déplacements et de leurs activités. D’autres deviennent influenceurs, promeuvent des compléments alimentaires, des fauteuils roulants en carbone, des méthodes de développement personnel ou des sneakers (Un tétraplégique ambassadeur pour des chaussures de sportwear, il fallait oser). Les mêmes lancent des lignes de vêtements et publient une photo par jour avec une citation ou une maxime à la con. Ça a l’air drôlement bien comme existence en fauteuil, je devrais essayer. Mais je n’y parviens pas. Ma vie à moi reste assez fade, il faut reconnaître. J’en arrive même à me poser des questions. Serais-je devenu un boulet pour moi-même ? (Pour les autres, j’en avais déjà pleinement conscience.) Heureusement, après toutes les galères vécues durant les étés 2019 et 2020, je pouvais espérer un peu d’animation durant ces vacances avec le minimum syndical en termes d’emmerdements. Jusqu’au bout, j’ai cru qu’il n’en serait rien, au point d’être contraint de réécrire ce billet de blog, les événements me faisant mentir.
Déjà, tout avait failli mal commencer. Soupçonnant une éventuelle récidive d’escarre, je m’en épanchai en mai dernier auprès de mon généraliste, lors de ma visite trimestrielle. Ce dernier, sans même m’ausculter, (il n’a pas de matériel pour ça) opte plutôt pour des fistules anales. Ah bon ? Pourquoi pas. Dès lors, les choses s’enchaînent vite. Je suis reçu par un spécialiste de la question, qui lui non plus ne m’ausculte pas, ne disposant pas non plus d’une table adaptée, mais planifie rapidement une coloscopie. ? Pourquoi pas !
Je vous passe le détail de tous les plaisirs qui précèdent ce type d’intervention, qui, du fait d’un transit extrêmement ralenti dans mon cas, furent deux fois plus intenses. Et puis, quelle joie de retrouver le milieu hospitalier, son ambiance festive et ses nuits animées par une dizaine de visites d’infirmières qui vous réveillent pour rien et laissent la porte de votre chambre ouverte.
La seule vraie satisfaction, parvenu dans l’antichambre du bonheur, fut de refuser avec vigueur le recours à l’anesthésie générale, m’appuyant sur ma condition de tétra à priori insensible à la douleur, en tous cas dans la zone ciblée par l’investigation. La négociation fut rude mais je pus donc assister en live vidéo à l’exploration indolore de mes 1,47 mètre de gros intestin. Ça n’est pas donné à tout le monde. Mais point de fistule ou autre anomalie à l’horizon.
Je devais donc changer mon fusil d’épaule, ou plutôt d’orifice. Car un examen visuel approfondi releva in fine l’existence d’un pore minuscule situé sur la cicatrice de feu mon escarre. Celui-ci laisse visiblement échapper, à intervalles divers, un liquide lymphatique incolore. Nouvelle mobilisation générale : me voici convoqué fissa auprès du duo suprême composé de ma chirurgienne et de mon infectiologue à Saint-Luc Saint-Joseph. Sincèrement, à ce moment précis, je le sens mal. Je me prépare psychologiquement à annuler les vacances en Bourgogne au profit d’un long séjour à l’horizontale à Lyon. Et pourtant, miraculeusement, il n’en sera rien. Les mines dubitatives des deux professionnelles devant mon séant m’indiquèrent qu’elles n’avaient ni l’explication, ni la solution à mon problème, visiblement plutôt rare. Une analyse de sang et un scanner plus tard, j’eus la confirmation qu’il n’y avait pas urgence à faire quoi que ce soit et je pouvais m’exiler tranquillement à la campagne pour un mois. Depuis, j’attends toujours des nouvelles.
La suite s’avéra plus conforme au programme, mis à par la météo, qui d’entrée, donna le ton du séjour. Entre deux averses, il était possible de dîner en terrasse, à condition de disposer d’un sweat à capuche et d’une doudoune. A mettre à l’actif de ce bilan vacances 2021 : les séjours et visites de personnes de grande qualité, mon père qui retrouva le sourire, le vin, lui aussi toujours de bonne facture, quelques bons livres, les progrès d’Agathe en natation… A mettre au passif : mon handbike de nouveau en panne au bout de deux sorties et reparti en SAV. Sur ce point, je restai drapé dans ma dignité, sans doute un peu résigné. Dernière chance en 2022 ! Toujours dans la colonne passif, cette météo qui plongea l’ensemble de la profession viticole, déjà durement affectée par l’épisode de gel au printemps dernier, et notamment mon frère, dans un grand marasme. Le ballet incessant des tracteurs enjambeurs et tous les soins prodigués au vignoble ne purent rien face à la déferlante de mildiou et d’odium qui ronge les quelques raisins qui subsistent. Début août, il me sembla un moment que ces maladies chroniques de la vigne s’attaquèrent à mon moral et à mon système nerveux. Les spasmes se firent soudain plus actifs, me faisant craindre un nouveau dysfonctionnement de ma pompe interne anti spasmes (voir billet d’août 2020.)
Le 5 août, alors qu’il nous reste encore quatre jours de vacances à passer à la campagne, je programme un aller-retour express le lendemain à l’hôpital neuro de Lyon pour réactivation d’urgence de la dite pompe. En attendant, je me lâche sur le baclofène par voie orale. Trop, visiblement. La nuit suivante est normalement atroce et le réveil anormalement mou. Je ne pourrai jamais me lever. C’est donc en qualité de véritable légume quasiment inconscient et plein de pesticides que je serai transporté à Lyon dans une voiture transformée en ambulance. Merci à Chloé pour avoir assuré, comme toujours et à ma cousine Denise qui dû s’improviser ambulancière.
Je m’éveillerai l’après-midi dans l’air idéal, le paradis clair d’une chambre d’hôpital. (Clin d’œil à Alain S, bon souvenir de boomer des Nuits de Fourvière 2021.) Précisons que, mon cas suscitant quelques inquiétudes, je fus placé en service Réanimation, sous surveillance continue. Pourtant encore dans un état de grande confusion, je réalisai à ce moment-là que je ne pourrai sans doute pas finir tranquillement le week-end en Bourgogne, ni prendre part au défilé de neuneus du lendemain contre la dictature sanitaire. Je passerai deux nuits dans ce service, plutôt déserté en ce début août malgré quelques cas Covid lourd. A part la clim à fond et un service de nuit qui tenait absolument à m’empêcher de dormir, je bénéficiai de l’attention permanente d’un personnel soignant vacciné et aux petits soins (notamment l’infirmière qui est un ange et dont les yeux sont verts).
Rapidement remis de mes émotions, je négociai âprement ma sortie dès le dimanche matin, pour me réadapter à la vie debout/assis et arriver relativement en forme au bureau, le surlendemain.
Depuis, je dois admettre que tout va bien mieux. Les spasmes, le sommeil, les migraines et surtout le moral. Sans doute la perspective d’un nouvel horizon professionnel, avec de nouveaux locaux, de nouveaux visages et de nouveaux projets. Il était plus que temps. Et puis, comme disait ce bon vieux Talleyrand : quand je me regarde, je me désole. Quand je lis les conclusions du dernier rapport du GIEC, je me désespère. (Mise à jour 2021). Et dans la même lignée, il est sans doute plus facile, en août 2021, d’être un handicapé en France qu’une femme en Afghanistan.
Alors, vive les vacances 2022 ! D’ici là, je jouirai d’une nouvelle pompe à baclofène, d’un nouveau fauteuil en titane (coquetterie de tétra hipster), d’un nouveau moteur pour mon handbike, d’un nouveau parlement (un nouveau président, ça m’étonnerait) et nous jouirons peut être d’une imminuté collective avec 90 % de la population vaccinée. On peut rêver.
Toujours aussi plaisant de te lire. Oui que d’émotions pour ton retour précipité à Lyon. Tout c’est bien terminé et c’est le principal. Côté météo c’est soit tu te cailles soit tu as comme aujourd’hui 34 degrés. Alors en bon français on râle, trop chaud et la semaine dernière trop froid. Bon on mise sur 2022 temps agréable, vignes magnifiques, ton vélo au top et tes plantes sur ta terrasse devenues une grande affaire.
Je te souhaite ainsi qu’à Chloé et Agathe une bonne fin de mois d’août. Bisous cousin.
Les vacances t’aiment pas, c’est tout.
Sinon je comprends pas ta patience avec ton handibike. Depuis que je te suis, il a pas dû fonctionner 2h de suite. J’aurais depuis longtemps balancé le bordel dans la gueule du vendeur. Il serait temps de passer au quad non ? Pas très écologique par contre tu pourrais te faire des potes de rodéo urbain qui pourraient te fournir autre chose que du baclofene. Bizz Michel
Cool ce récit. J’ai rien d’intelligent à dire mais de tout coeur avec toi. Olivier (celui de FB)
et oui on peut toujours rêver!!! ça fait de mal à personne…
belle rentrée Michel.
Il est merdique ce handbike ?! tu ne peux pas le changer depuis le temps que ça dure?!
ce n’est quand même pas le seul modèle qui existe au monde? le fabricant ne se sent pas mal à l’aise?
bises et belle fin d’été
« confrères à roulettes pour vivre des vies apparemment géniales » : ce ne serait pas un miroir aux alouettes… à roulettes ?
Et un été mi-figue mi-raisin …