Tétra claques
9 juin 2014
Au début de l’année, dès l’annonce du programme, j’étais très excité à l’idée de voir Stromae en live à Fourvière.
Je n’étais visiblement pas le seul vu à quelle vitesse lumière les quelques milliers de places ont trouvé acquéreurs le jour J à l’heure H précise, me laissant impuissant et bredouille devant mon écran. La déception passée, je me rabattais le lendemain sur le trio Trip Hop de Portishead, qui n’en finit plus de revenir depuis son coup de génie des années 90, dans le sillage de Massive Attack.
La promesse d’une soirée d’été hypnotique dans l’amphithéâtre gallo-romain était séduisante mais cette année, il était écrit que je regarderais la nature et la vie s’épanouir aux beaux jours par la fenêtre de ma chambre d’hôpital. Mon horizon s’est bonifié d’ailleurs. Les grands résineux du joli parc Henri Gabrielle, ballotés au gré des caprices du vent, berçent mon nouveau quotidien. Finalement, je devrai me satisfaire fin mai du concert exceptionnel de Gérald De Palmas, dans le cadre du gymnase du pavillon Bourret, l’autre aile du centre Henri Gabrielle. Une prestation scénique gratuite (merci. Il convient de le souligner), minimaliste et très courte (40mn), au cours de laquelle Gérald et ses 3 excellents musiciens allaient faire le show et dérouler leurs 6 chansons les plus connues devant une soixantaines de patients en délire (certains délirent toujours d’ailleurs). D’abord, je comptais bien m’épargner ce qui s’annonçait comme indigne de mon auguste personne – mon éternel côté snob – puis je me ravisai. Boudant déjà les après-midi loto ou l’atelier confection de colliers à base de capsules « Nespresso », j’avais garanti ma présence à Agnès, la responsable animation maison, qui ne dispose pas des budgets de l’UMP pour établir son programme, la pauvre.
Le jour J, congédiant prématurément mes visiteurs VIP, je me laisse conduire par une sémillante septuagénaire de l’association des « Blouses roses » jusqu’à la salle déjà bien pleine. Normal, il est bientôt 14h 30. Ma pink lady me gare habilement en épi au 4ème rang. En attendant Gérald, le spectacle est dans la salle : une cour des miracles cabossée et endimanchée, susceptible d’effrayer les plus jeunes d’entre-nous. Avec mon ensemble survet / tee-shirt que je ne quitte plus, ma minerve du meilleur effet et mes bas de contention, affalé dans mon fauteuil de grabataire, je prends violemment conscience de faire partie de la famille et du décor. Ma jambe gauche, qui se met à battre la mesure pour cause de spasme insistant, n’arrange rien. Après le petit mot d’un directeur qui tient à remercier 30 personnes sans qui rien n’aurait été possible, j’assiste sagement à la prestation, décelant une vraie lueur de bonheur sur les visages de certains de mes colocataires. Tout se déroule pour le mieux jusqu’à ce qu’Agnès, trop contente, se lève et commence à taper en rythme dans ses mains, invitant l’ensemble du public à l’imiter. Hélas, peu la suivront, tant ce geste anodin peut paraître complexe pour nombre d’entre-nous, dont moi le premier, avec mon nouveau statut de Debouzze assis. Beau joueur, je me contenterai de claquer ma main valide contre mon poignet droit. Le rappel final ne donnant rien, je fus exflitré par chance du « Pogo » de fauteuils qui suivait grâce à Jessica, ma kiné madrilène, évitant par la même le pot de remerciement qui pouvait s’avérer hautement accidentogène.
Si, à l’image de Jessica, j’entretiens d’excellentes relations avec la plupart du personnel soignant, j’avoue en revanche ne pas avoir encore réussi à dépasser le stade de la simple politesse avec les patients de mon étage. Si ma tête et mon discernement général ont été épargnés lors de mon accident, les pathologies qui affectent mes voisins apparaissent souvent bien différentes. Pour certains, le choc à été rude et les conséquences neuro-cérébrales constituent des freins importants à une socialisation épanouie. D’autres ont perdu ponctuellement l’usage de la parole et privilégient la communication par grognements. Certaines bandes très fermées se sont déjà constituées avec le temps autour des cours de cuisine ou d’autres ateliers auxquels je n’ai encore accès ( je débute) . Enfin, on a également affaire à quelques spécimens de gros cons, que leur handicap bien regrettable ne rend pas plus sympathiques pour autant. La palme allant à mon jeune voisin immédiat, qui non content d’importuner tout le monde en permanence avec le volume de sa télé ou ses réclamations insistantes et crétines, insulte copieusement aide-soignantes et infirmières lorsqu’il est énervé (la plupart du temps). Ma seule tentative de sociabilisation dans le cadre de la salle à manger s’est soldée par un échec. Aprés avoir assisté, stoïque et tout sourire à une partie endiablée de petits chevaux durant de longues minutes, j’osais prendre le contrôle de la télé commune (que personne ne regardait) afin de baisser le son et de zapper de NRJ12 à BFM Tv. Je n’aurais pas dû. Je fus vite recadré par un grognement et une télécommande autoritaire. Au final, mes seules incursions hors chambre (hormis les promenades dans le parc avec mes visiteurs), se résument à mes séances de kiné ou d’ergothéraphie imposées ou de timides sorties en fauteuil dans les longs couloirs, afin de me familiariser avec ce nouveau mode de déplacement doux. A ce titre, mon premier fauteuil – lit « transformer 2 » spécial hypo tension et cou délicat, pèse l’équivalent de 2,7 VéloV et demande des efforts considérables pour être propulsé par son occupant diminué. Fort d’une nouvelle condition physique de mollusque, parcourir 30 m à la seule force des bras, me laisse plus exsangue que de monter à Fourvière en courant. Moi jadis tellement joueur et fier, je suis devenu le boulet de cet hôpitaĺ, humilié à chaque sortie par moult fauteuils plus véloces, et totalement indifférents à ma détresse. Même le doux souvenir de Carole, l’interne omniprésente qui me réconfortait les premières semaines a été balayé par le nouvel interne poilu et mal dégrossi de l’étage, dont l’amabilité le dispute à l’efficacité. On ne peut pas avoir du bol en permanence.
Bon, tandis que la barre des 2 mois d’horizontalité vient d’être passée (qui m’en ont paru 6), j’ai décidé de reprendre le dessus (le dessous, c’est pas gagné) : nouveau fauteuil, nouveaux muscles et éventuellement nouveaux copains. En cherchant un peu, on ne sait jamais.
Un inconnu de plus. C’est sûr qu’il faut s’accrocher à quelques branches:
ta femme, tes proches, ta paternité, tes futurs copains (y en a bien quelques uns de sympas dans ce centre), tes inconnus…du coup, ça fait pas mal d’entités. Partager ta souffrance ne la fait sans doute pas diminuer mais on est là.
signé: un inconnu de pas très loin de Lyon
Et tu auras d’ici peu certainement des situations cocasses à relater…
Et comme ce milieu ne m’est pas inconnu – et oui, toujours le même… – voilà un petit site qui recense moultes illustrations en tout genre sur le sujet :
http://www.bdmedicales.com/index.htm
Kiss Big Spirit
Contente de voir qu’ au final malgré toutes ces embuches tu te bats, des potes tu en as plein qui ne demandent qu’à venir te voir mais qui n’osent pas forcément par peur de gêner ou peur du milieu hospitalier etc ….. en plus avec ce que tu racontes sur tes voisins ça va pas aider !!!!!!! allez Mickael à fond, lâches rien ….à bientôt
Bises
Gis
Bonsoir Michel, ça y est je suis accro à vos épisodes épistolaires (ça se dit?) c’est drôle votre façon de raconter de façon détachée alors que vous êtes si attaché, c’est attachant à la fin. J’habite et travaille pas loin d’Henry Gabriel et à l’occasion si ça vous dit et avec la permission de ma copine Chloé je peux venir vous faire une visite.
Marion.
Ce concert à donc tenu toutes ses promesses… A priori la simple guitare acoustique n’aurait pas fait mieux! Bises
….pas sur la route mais dans ton fauteuil ou lit toute la « sainte » journée… je retrouve dans tes récits le même humour, recul que Fabien Grand Corps Malade* dans son livre qui parlait de son passage dans des centres, hopitaux comme celui dans lequel tu es..
* »Les 5 sens des handicapés sont touchés mais c’est un 6ème qui les délivre
Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction
Ce 6ème sens qui apparaît, c’est simplement l’envie de vivre. »
Très cher Michel,
Je vois avec plaisir que votre verve est intacte ! J’ai régulièrement de vos nouvelles par votre »Lisa adorée » mais vais rester fidèle à votre blog…
Je vous adresse toutes mes pensées les plus positives, les plus optimistes et les plus sincères et vous dis à très vite.
Très, très cordialement,
Laurent, comte de Huverger (ou d’Huverger, pour faire simple).
Bonjour Michel,
tu ne me connais pas et j’ai lu pour la première fois ton blog hier (via Kikourou, merci à eux). Je me suis endormie en pensant à toi et ma première pensée ce matin a été pour toi également. Je croyais naïvement que les gens qui subissaient ce genre d’accident voyaient leur peine atténuée par des calmants qui leur embrument l’esprit. Je constate qu’il n’en est rien. Ta lucidité, ta dérision et ton humour froid nous mettent face à ta réalité. Quant à tes voisins, en particulier l’énervé, c’est sans doute que leur souffrance s’exprime d’une autre façon. Je te souhaite beaucoup de courage et espère te lire à nouveau bientôt.
Salut Mich !
Moi aussi je suis fan de Gérald de Palmas. Tiens le coup.
À bientôt. Bizz
Je sais que je ne devrais pas dire ça mais tant pis : qu’est ce que tu me fais rire !!! c’est tellement ça… j’ai un ami qui a pris l’option séjour long à Garches un jour et j’ai juste l’impression de l’entendre. J’aimais bien moi Gérard…
Cécile
Admiratif de lire ces propos remplis de lucidité et d’humour. Admiratif de voir le recul et la dérision face à ce quotidien terrible. Admiratif du courage et de la volonté de continuer à avancer. Bref, admiratif de toi Michel 🙂
C’est un texte qui se passe de visuels, mais tout de même Mitch si tu décides d’en faire une BD demande à Leonard Cohen du Chiffroscope d’illustrer tout çà. Ton interne aurait une tronche pas possible. Bisous
Le bras droit de Dieu !-)
Extro ardinaire d’auto dérision . Bravo. Tu nous fais sortir de notre bulle selfiesque. Merci
Toujours là pour te suivre
Biz
Salut Michel,
j’ai appris incidemment dans la journée par arthurbaldur que tu t’étais livré à de pas très joyeuses cabrioles le 1er avril. Quel comble pour un joyeux déconneur de ton espèce ! Passée la stupeur, rassuré… et un plaisir honteux de retrouver ton humour grinçant dans un autre genre. T’aurais pas la tête est encore plus hyperactive qu’avant, dis donc ?
Sans déconner, garde la foi (en ce que tu veux) et l’espoir, y’a pas de place au découragement : t’as attaqué un drôle d’ultra sur lequel, même sans dossard, tu connaîtras des hauts et des bas. Chasse le doute et vise cette p… de ligne d’arrivée : tout tenter pour te remettre sur pied pour commencer, y’a forcément un bon chemin.
Te revoir gambader dans nos montagnes alpines où je t’ai régulièrement croisé ces dernières années, ce serait vraiment le pied. Mes prochaines courses, évidemment, ce sera avec une grande pensée pour toi.
Benoît (LUT 2009, avec qui tu avais fait un bon bout de chemin à l’avant… à vélo)
Extro ardinaire d’humour décalé. Bravo tu nous sors de notre bulle selfiesque. Un plaisir de te lire.
Post plus dur que les précédents mais tellement réaliste…tu viens de battre à plate couture tous les « compléments d’enquête », « zone interdite », »enquête d’action », « enquête exclusive », « spécial investigation », « vie ma vie », « parenthèse inattendue »…
Ça vaudrait presque le coup d’en faire un « RV en terre inconnue » avec Frédéric Lopez, non ?
Ça tombe bien, Claire et moi sommes Fans !
Pensées sincères et amicales…
Claire et Richie
Le Vélo’v c’est pas mal comme nouvelle unité de mesure!
En attendant les nouveaux copains, y’a toujours des anciens plus ou moins proches qui pensent à toi.
Mon premier est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon deuxième est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon troisième est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon quatrième est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon cinquième est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon sixième est un chentarme qui rentre à la caserne
Mon tout est un évènement en Alsace
Charadement pour la sociabilisation et ++ encore
Pou
Salut mon cousin,
Comme je te comprend, dur dur de côtoyer des cabossés de la vie mais en même temps, tu décris si bien que je vois très bien l’interne poilu et pas très gracieux qui a remplacé la super nénette qui s’occupait de toi.
Je sais par le chef, Vévette et Denise que tu as fait de gros progrès, toi tu ne le penses pas mais pour ceux qui vont te voir c’est flagrant, alors continue à te battre. N’oublies pas que tu as un record à battre, moi je sais que tu vas le remporter et maintenant que tu as un fauteuil au top, ça ne saurait tarder.
Pas un jour sans que l’on pense à toi et à ta chérie. Alors continue tes efforts, ce n’est qu’une plus grande montagne à gravir.
Gros bisous à vous deux et aux enfants
Je suis aveugle mais on trouve toujours plus malheureux que soi ….. J’aurais pu être noir
Salut Michel
T’as peut-être eu des échos de Bordeaux-Paris, j’y étais, et ce fut une belle réussite. Quelques menus détails à améliorer mais qui n’entache pas l’impression générale, ce fut une édition qui a redonné tout son lustre à ce mythe!
J’espère que t’auras la possibilité d’assister à la prochaine édition, même si ton combat est pour l’instant tout autre!
A bientôt, garde le cap
Frédéric
Sont accueillis au centre : les mollusques , les boulets , les diminués ,les aphasiques , les cons …..peu importe les noms ou les images que tes écrits nous renvoient ,vous êtes tous des êtres fragilisés, stoppés net en plein vol par un funeste imprévu.
Parmi tous les patients, il y en a forcément quelques uns susceptibles d avoir des affinités avec toi, peut être aux autres étages ou tout comme toi avec un côté snob ( que tu avais déjà à 20 ans 🙂 ) qui ne les pousse pas à sortir de leur chambre. Copiner n est sans doute pas simple quand on se sent soudainement « quelqu un autre » mais tu le feras parce que, après tout , tu n es pas un solitaire avéré , non ?
Salut mon gaillard, plaisir de te lire encore et encore.
Une grosse bise.
Chaque semaine, j’attends avec impatience ton dernier billet.
Jamais déçu ! Cette fois le portrait de groupe plus vrai que nature
de cette collection d’humanoïdes, qui ressemble terriblement à celle qui sévit dehors. C’est vrai » les cons osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » mais c’est souvent dans les lieux les plus improbables que l’on fait de belles rencontres.
Pour avoir fait récemment partie d’un club de joyeux « coronariens en rééducation cardiaque ». J’avoue avoir fait des rencontres heureuses et même avec un Cardinal…
Je ne doute pas que tu ne puisses rencontrer un collègue avec lequel partager un peu plus qu’une télécommande.
Merci en tous cas de nous faire découvrir avec toujours la même plume sarcastique et pudique,ce monde ignoré de l’hôpital.
Un déjà fidèle lecteur et admirateur à tous points de vue!
Et puis coup de chapeau au passage à Gérard de Palmas,
qui n’est pas toujours sur la route toute la sainte journée.
Salut Michel,
Un petit signe du soir, espoir,
Ton humour grince, ça veut dire que la bête bouge encore.
Il te sera utile, la route sera longue sans doute.
Je t’envoie, encore et toujours et comme plein de gens, un gros bouquet de pensées positives et amicales.
Bises, à partager avec Chloé.
C’est quoi la réponse de la charate alssacienne de Pou ?
Autre charate alssacienne
Mon premier a des dents.
Mon zegond a des dents.
Mon droizième a des dents.
Mon tout est un filain défaut.
Voilà Michel, Les pages se tournent à une vitesse folle, les obstacles nous crééent toujours bien des soucis, également quand on peut les éviter. Il faut beaucoup de courage pour remettre en question une existence fun et libérée, je t’ai souvent vu de derrière dans les groupes de félés et j’ai remarqué tes trajectoires, j’ai la certitude que dans le futur tu seras un champion de slalom! (A SUIVRE)